L’Eucharistie comme sacrifice.
Quand nous venons à la Messe, nous ne venons pas à une fête mondaine… non, nous venons au Calvaire, au Sacrifice de Jésus actualisé et rendu présent sous la forme d’un Repas pour qu’il nous soit plus facile d’y participer en nous offrant à Dieu (offertoire) et en nourrissant nos âmes par la Communion.
Le saint Pape Jean-Paul II, lors de ses homélies du Jeudi Saint, invitait chaque prêtre à regarder cette célébration de la Cène du Seigneur comme son propre anniversaire. Notre sacerdoce, notre ministère qui participe de l’Unique Sacerdoce du Christ, est né le Jeudi Saint, lors de l’Institution du Sacrement de l’Amour, l’Eucharistie. Le prêtre est fait pour l’Eucharistie et l’Eucharistie fait le prêtre, elle donne le vrai sens à notre existence sacerdotale.
La Charité, l’Eucharistie et le Sacerdoce sont les mystères de cette nuit sainte.
Et tout ce qui se passe ce soir n’a de sens que dans le contexte de la mort et de la résurrection de Jésus. Cette Cène est révélatrice de la Croix et, en même temps, elle-même est révélée par le Mystère Pascal. Jésus-Christ est venu pour donner sa vie en rançon pour une multitude, pour nous réconcilier avec le Père par le Sacrifice de la Croix. La Cène l’anticipe sacramentellement, l’explique et va assurer sa continuité et son application jusqu’à la fin du monde.
Nous allons méditer et essayer de comprendre ces deux réalités qui sont intimement unies : la Cène du Seigneur comme révélatrice de la signification de la Passion, et la Passion, elle-même, anticipée et réalisée dans l’Eucharistie.
La Dernière Cène comme résumé du Mystère Pascal. Le cardinal Albert Vanhoye, dans ses “Lectures Bibliques” affirmait que « la Dernière Cène résume toute la Passion. C’est en effet la Cène qui donne à la passion une orientation positive ». Au cours de ce dernier repas, et surtout grâce à l’Institution de l’Eucharistie, Jésus nous révèle le sens profond et très positif de sa douloureuse Passion, qui est, en soi-même, un événement triste et négatif.
Lorsqu’il se met table avec ses apôtres pour la Dernière Cène Jésus sait que sa Passion approche. Jésus est bien conscient de tout ce qui va advenir (trahison, abandon, négation, haine, de terribles supplices et la mort). En effet lui-même le révèle et l’anticipe. A sa place tout homme raisonnable éprouverait une immense douleur et une grande révolte intérieure contre une telle injustice. Le prophète Jérémie, lorsqu’il se trouve dans une situation semblable, invoque la vengeance à l’encontre de ses adversaires (cf. Jr 20,12). Devant le mal subi et l’injustice, la réaction spontanée du cœur humain est de se rebeller et de demander Dieu d’intervenir. D’autres préfèrent prendre les armes et se venger eux-mêmes.
Sachant tout cela, au moment de la Dernière Cène, Jésus rend présente sa Passion par anticipation. C’est l’Eucharistie. Jésus prend le pain et, après avoir rendu grâce à Dieu, le rompt et le donne à ses disciples en disant : « prenez, ceci est mon corps ». Puis il prend le calice, rend grâce et le donne à ses disciples en disant : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude ». Par ses gestes et ses paroles il rend présente sa passion. Il fait de cet événement si cruel et injuste l’occasion de l’amour le plus grand.
Comme le dit saint Jean : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13,1) L’Eucharistie est une transformation profondément extraordinaire de la Passion par laquelle Jésus lui donne le sens de l’amour, il en fait une alliance. En lui-même, cet événement est une rupture car Jésus est condamné, mis mort, ce qui constitue, bien évidemment, la plus grande rupture qui puisse intervenir en une existence humaine. Mais Jésus transforme, par anticipation, cet événement humain en une alliance. Nous demeurons stupéfaits devant cette transformation, stupéfaits par la générosité qui a été nécessaire pour l’obtenir.
Jésus déclare : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude ». Jésus mentionne explicitement l’alliance. Toute la Passion est orientée et centrée sur cette alliance, sur l’union avec Dieu et avec nos frères. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie nous devons nous souvenir qu’elle rend présente toute la Passion du Christ, tout en lui donnant son sens d’amour et d’alliance, c’est à dire, de réconciliation et d’amitié.
L’Eucharistie comme sacrement du sacrifice du Christ : la Passion, elle-même, anticipée et réalisée dans l’Eucharistie.
Pouvons-nous nous poser la question suivante : L’Eucharistie, est-elle “un sacrifice” ou plutôt, comme on l’appelle plus habituellement, “une Cène”, “une Communion”… quelque chose qu’on mange ensemble et qui nous rassemble ?
En réalité, il ne faut pas faire de la dialectique. Jésus a voulu unir inséparablement ces deux réalités dans la célébration du Sacrement de son Corps et son Sang.
Pour le contexte de son institution (repas pascal juif) et pour la forme extérieure (pain et vin) qu’elle revêt, il est clair que l’Eucharistie est un repas. Jésus se donne à nous comme pain pour être mangé et comme boisson pour être bue. Et c’est justement cette réalité d’être aliment spirituel qui permet à Saint Thomas d’Aquin d’affirmer que l’Eucharistie est vraiment un sacrement. Écoutons-le.
« On peut définir un sacrement comme le signe d’une réalité sacrée, en tant qu’elle est sanctifiante pour les hommes » (Somme Théologique III, 60, 2).
Ensuite en parlant de l’Eucharistie : « Les sacrements de l’Église ont pour fin de soutenir l’homme dans sa vie spirituelle ; or la vie spirituelle s’harmonise à la vie corporelle, du fait que les réalités corporelles portent la ressemblance des réalités spirituelles. Il est bien évident que la vie corporelle, si elle requiert la génération par quoi l’homme reçoit la vie, (…) requiert aussi la nourriture par quoi l’homme est conservé en vie. Par conséquent, de même que la vie spirituelle a requis le baptême, qui est génération spirituelle, (…) de même elle a requis le sacrement de l’Eucharistie, qui est nourriture spirituelle » (S Th III, 73, 1).
Et, d’autre part, Jésus a fait de ce Repas tout à fait spécial l’actualisation de son unique sacrifice sauveur. Voyons aussi cela.
Saint Thomas affirme encore : « Comme on l’a déjà dit, ce sacrement n’est pas seulement sacrement, il est encore sacrifice. Car en tant que, dans ce sacrement, la Passion du Christ est rendue présente, par laquelle le Christ « s’est offert à Dieu en victime » (Ep 5, 2), il a raison de sacrifice ». (S Th III, 79, 7)
Et aussi : « L’eucharistie est le sacrement parfait de la Passion du Seigneur, en tant qu’elle contient le Christ dans sa Passion ». (S Th III, 73, 1, ad 2)
Comment cela est-il possible ?
C’est à dire, comment est-il possible que l’unique sacrifice du Christ puisse être infiniment et vraiment re-présenté (rendu présent) sur les autels, en restant toujours “un” ?
La théologie nous apprend que c’est justement grâce à ce que l’Eucharistie a raison de sacrement, qu’elle est un signe sensible et que par la puissance infinie de Dieu elle peut produire la grâce et l’effet qu’elle signifie. Ce geste fait par Jésus, qui est Dieu, produit efficacement ce qu’il signifie.
Dans la Passion, en effet, le Christ répandit son sang, qui fut ainsi séparé de son corps : au moment de la consécration, le prêtre (ou mieux, le Christ à travers son ministre), rend présent le Corps en premier et, aussitôt après, le Sang. C’est cette séparation, très précisément, que signifie, et donc que représente sacramentellement le Sacrifice du Christ sur la Croix, où le Sang versé a été séparé du Corps.
C’est donc en le représentant ainsi sacramentellement que l’Eucharistie est elle-même le sacrifice de la croix accompli sous ce mode en vue de son application à l’Église, à chacun de nous.
Nous pouvons donc conclure que L’Eucharistie nous a été laissée par le Christ, bien que sous la forme d’un Repas, comme le mémorial de son Sacrifice sur la Croix.
A la Cène, Jésus a expressément référé son geste à l’immolation imminente qu’il allait faire de sa propre vie pour la rémission des péchés : la présentation séparée de la chair et du sang n’avait et ne pouvait avoir aucun autre sens.
Quand nous venons à la Messe, nous ne venons pas à une fête mondaine, où il faut danser, parler à haute voix et entre nous, chanter en criant pour couper le silence… non, nous venons au Calvaire, au Sacrifice de Jésus actualisé et rendu présent sous la forme d’un Repas pour qu’il nous soit plus facile d’y participer en nous offrant à Dieu (offertoire) et en nourrissant nos âmes par la Communion.
Soyons de plus en plus conscients de cette réalité vraiment essentielle de la Messe.
Les saints nous aident à la comprendre.
Penser au Padre Pio. Par une grâce spéciale de Dieu il partageait les mêmes souffrances que Jésus sur la Croix pendant chaque Messe, en versant son propre sang par les stigmates qu’il a eues pendant 50 ans. Lisez ses écrits.
Ecoutons aussi ces paroles de Saint Pierre-Julien Eymard, le saint apôtre de l’Eucharistie, qui nous confirment dans cette vérité :« L’état de Jésus dans l’Eucharistie est un état de mort. Se montrant à Bruxelles et à Paris en 1290 et en 1369, il apparut avec ses plaies comme notre divine victime. Il est sans mouvement, sans volonté, comme un mort qu’il faut porter. Autour de lui règne un silence de mort. Son autel est un tombeau et renferme des ossements de martyrs. La Croix le surmonte, la lampe l’éclaire comme elle éclaire les tombeaux, le corporal qui enveloppe la sainte hostie est un nouveau suaire. Quand le prêtre se prépare au Saint-Sacrifice, il porte des insignes de mort. Tous ses vêtements sacrés sont ornés d’une Croix, il la porte devant et derrière. Toujours la mort, toujours la Croix. Tel est l’état de l’Eucharistie considérée en elle-même.
Et considérée comme sacrifice, c’est encore la mort d’une manière plus sensible. Le prêtre prononce séparément sur la matière du pain et séparément sur le vin les paroles sacramentelles de sorte que par la vertu précise de ces paroles, le corps devrait être séparé du sang, et c’est la mort. C’est ainsi que Jésus-Christ continue par sa mort mystique (sacramentelle) le sacrifice de la Croix, renouvelé par des milliers de fois, pour les péchés du monde » .
Et de même comme l’affirme Scott Hahn, dans son ouvrage “le Festin de l’Agneau” : « Que pouvons-nous conclure de tout ceci ? Jean, dans le récit de la Passion, nous fait bien comprendre que dans ce sacrifice pascal nouveau et définitif, Jésus est en même temps le prêtre et la victime. C’est également confirmé dans les récits de la dernière Cène des trois autres évangiles, où Jésus utilise clairement le langage sacerdotal du sacrifice et des libations, même en se décrivant lui-même comme la victime (Lc 22, 19-20) ».
Que Notre Mère du Ciel, la Très Sainte Vierge Marie, Elle qui a donné de son sang et de sa chair au Fils de Dieu afin qu’Il puisse s’offrir en Sacrifice pour notre salut et nous laisser l’Eucharistie, qu’Elle nous donne d’adorer humblement ce Sacrement, de nous en nourrir constamment et de nous offrir avec Lui comme sacrifice pour la Gloire de Dieu.
Ainsi soit-il.