«Si je devais faire l’historique de ce qu’ils furent, ces soldats, ce sont des pages d’épopée que vous entendriez. Ils ont dépassé toutes les limites de l’endurance, de la valeur, de la bonne volonté, Dieu sait en quelles épreuves terribles, par la durée et la violence. Les actes accomplis par les évêques, les fidèles et l’armée, pour réaliser le Message du Sacré-Cœur, en particulier le déploiement fréquent du drapeau du Sacré-Cœur sur le champ de bataille, joints aux prières, aux sacrifices et aux réparations de toute la France, lui ont attiré la protection du Christ. Ne nous lassons pas de l’en remercier ».
Maréchal Foch 1919.
L’armistice de 1918, signé le 11 novembre 1918, marque la fin des combats de la Première Guerre mondiale (1914-1918), la victoire de la France, appuyée par ses alliés, et la défaite totale de l’Allemagne. Le cessez-le-feu est effectif à onze heures, entraînant dans l’ensemble de la France des volées de cloches et des sonneries de clairons annonçant la fin d’une guerre qui fit environ 10 millions de morts, dont 1,45 millions en France, et 8 millions d’invalides. Nous faisons mémoire, en rendant honneur, aux soldats français, mais aussi à nos aïeux civils, tués ou mutilés au champ d’honneur ou sous les attaques des nouvelles armes aussi meurtrières que modernes.
En France, la grande guerre comme aussi les cérémonies de commémoration du centenaire de l’armistice concernent aussi l’Eglise catholique. Tout à l’heure les cloches de notre église Saint- Laurent sonneront pour célébrer la paix et la victoire et maintenant je voudrais vous parler en trois points de cette présence de notre foi catholique au cours de la guerre.
Le rôle des prêtres catholiques français dans la grande guerre.
« Elle devait durer quelques mois », écrit le professeur Pascal Boniface, « elle a duré quatre ans. Enterrés dans les tranchées, mourant au front, souffrant de soif, de faim et de froid, les soldats comptent parmi eux des prêtres-soldats. Après la guerre, on se souviendra qu’ils ont combattu comme les autres soldats et qu’ils sont morts aussi comme eux ».
Un écrit résume de manière magistrale le sacrifice pour la France de tant et tant de prêtres, je parle du témoignage de ce grand prêtre français que fut le père Paul Doncœur. Le Père Doncœur fut un jeune prêtre hors du commun, plusieurs fois blessé au front lors de la 1ère guerre mondiale. D’abord exilé de France en 1902 à cause de la politique anticléricale de Clémenceau, il fut du nombre des religieux qui revinrent défendre le Pays durant la grande guerre. En 1924, le président du Conseil décide de les expulser de nouveau. La réaction du Père Doncœur fut claire et précise. M. Herriot fit marche arrière. Voici quelques extraits de sa célèbre lettre :
« Alors M. Herriot a fait le grand geste d’ouvrir tout large les deux bras encore sanglants de la France et a donné à tous les misérables leur pardon. Par la porte ouverte on a voulu faire passer tous les coupables et tous les lâches, les insoumis, les déserteurs et les traîtres. S’ils reviennent pour servir et réparer, j’applaudis. Mais cette même porte ouverte aux frontières, le même M. Herriot, du haut de la tribune française, il nous la montre, pauvres bougres de religieux, rentrés le 4 août 1914 pour la bataille. Eh bien ! Non nous ne partirons pas. Pas un homme, pas un vieillard, pas un novice, pas une femme ne repassera la frontière, cela jamais ! J’ai vécu douze ans en exil, de 22 à 34 ans, toute ma vie d’homme. Je vous le pardonne. Mais le 2 août 1914, à 4 heures du matin, j’étais à genoux chez mon supérieur. C’est demain la guerre, ai-je dit, ma place est au feu. Et mon supérieur m’a béni et m’a embrassé. Par des trains insensés, sans ordre de mobilisation (j’étais réformé), sans livret militaire, j’ai couru au canon, jusqu’à Verdun. Le 20 août, à l’aube, avant la reprise du combat, à la recherche des blessés du 115ème, j’avançais au-delà des petits postes, quand tout à coup, je fus enveloppé par le craquement de vingt fusils, et je vis mon camarade étendu de son long, contre moi, sur la route, la tête broyée. J’ai senti à ce moment que mon cœur protégeait tout mon pays. Jamais je n’avais respiré l’air de France avec cette fierté. J’ai été trois fois blessé, je garde toujours sous l’aorte un éclat d’obus reçu dans la Somme et, démobilisé, j’ai commis le crime de rester chez moi. Et maintenant vous me montrez la porte ! Vous voulez rire M. HERRIOT ! Mais on ne rit pas de ces choses. Jamais, pendant cinquante mois, vous n’êtes venu me trouver. Ni moi, entendez-vous, ni aucun autre (car tous ceux qui étaient en âge de se battre se sont battus), ni aucune femme, nous ne reprendrons la route de Belgique. Cela jamais ! Vous ferez ce que vous voudrez, vous prendrez nos maisons, vous nous ouvrirez vos prisons. Mais partir comme nous l’avons fait en 1902 ? Jamais ! Nous avons aujourd’hui un peu plus de sang dans les veines, voyez-vous, et puis, soldats de Verdun, nous avons appris aux bons endroits ce que c’est que de s’accrocher à un terrain. Et je vais vous dire maintenant pourquoi nous ne partirons pas. Nous ne partirons plus parce que nous ne voulons plus qu’un étranger nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : » La France nous a chassés « . Pour l’honneur de la France jamais nous ne dirons plus cela à un étranger. Donc nous resterons tous. Nous le jurons sur la tombe de nos morts ! ».
Septembre 1914: «le miracle de la Marne».
La bataille de Marne a lieu du 5 au 12 septembre 1914. A l’été de 1914, les troupes alliées sont en pleine retraite, après leur défaite sur les frontières. Le corps expéditionnaire britannique planifie déjà son repli vers les ports de la Manche, pour un éventuel réembarquement ! Les troupes sont en replis ininterrompu. Rien ne semble pouvoir contenir la puissance de l’offensive allemande. Quel facteur pourrait la sauver d’un désastre imminent? Le 2 septembre, on prépare une contre-attaque commune généralisée à hauteur de la Marne. Le 5 septembre, les Alliés engagent le combat. Les livres d’histoire parlent de « Miracle de la Marne » en décrivant un effort surhumain d’une armée épuisée, une organisation logistique utilisant toutes les ressources disponibles tels que les taxis parisiens, un savoir-faire tactique de généraux qui comme Gallieni, Lanrezac, Franchet d’Espèrey, ou Foch ont su discerner une faute de l’ennemi et l’exploiter. C’est incontestable. Mais cette vision dite « rationnelle » n’a rien d’incompatible avec une intervention divine, qui donne un tout autre sens à l’expression de Barrès de « Miracle de la Marne ». En effet, comme l’a dit Jeanne d’Arc à un autre moment critique de notre histoire : « Les soldats ont combattu et Dieu a donné la victoire ».
Ils sont nombreux, des deux côtés du front, à témoigner de la présence de la Sainte Vierge lors de la bataille de la Marne. Ainsi, madame Tripet-Nizery, infirmière de 1914 à 1916, reçoit un blessé français qui lui aurait avoué : « Quand nous avons eu l’ordre de repartir en avant, une femme en blanc, devant la tranchée, nous entraînait ». Ou encore un officier allemand, fait prisonnier : «Si j’étais sur le front, je serais fusillé, car défense a été faite de raconter, sous peine de mort ce que je vais vous dire : vous avez été étonnés de notre recul si subit quand nous sommes arrivés aux portes de Paris. Nous n’avons pas pu aller plus loin, une Vierge se tenait devant nous, les bras étendus, nous poussant chaque fois que nous avions l’ordre d’avancer. Pendant plusieurs jours nous ne savions pas si c’était une de vos saintes nationales, Geneviève ou Jeanne d’Arc. Après, nous avons compris que c’était la Sainte Vierge qui nous clouait sur place. Le 8 septembre, Elle nous repoussa avec tant de force, que tous, comme un seul homme, nous nous sommes enfuis. Ce que je vous dis, vous l’entendrez sans doute redire plus tard, car nous sommes peut-être 100.000 hommes qui l’avons vu ».
Nous avons aussi un autre témoignage : «Le 3 janvier 1915 un prêtre allemand blessé et fait prisonnier à la bataille de la Marne, est mort dans une ambulance française où se trouvaient des religieuses. Il leur dit : « Comme soldat, je devrais garder le silence, comme prêtre, je crois devoir dire ce que j’ai vu. Pendant la bataille de la Marne, nous étions surpris d’être refoulés, car nous étions légion, comparés aux Français et nous comptions bien arriver à Paris. Mais nous vîmes la Sainte Vierge toute habillée de blanc avec une ceinture bleue, inclinée vers Paris… elle nous tournait le dos et de la main droite, semblait nous repousser… Cela je l’ai vu et un grand nombre des nôtres aussi ». Dans les jours où ce prêtre allemand parlait ainsi, deux officiers allemands, prisonniers, comme lui, et blessés, entraient dans une ambulance française de la Croix-Rouge. Une dame infirmière parlant allemand les accompagne. Quand ils entrèrent dans une salle où se trouvait une statue de Notre-Dame de Lourdes, ils se regardèrent et dirent: » Oh ! La Vierge de la Marne ! » » (Tiré du Le courrier de la Manche, du dimanche 14 janvier 1917).
Le Sacre Cœur pendant la première guerre mondiale.
Pendant la première guerre mondiale, en réponse à la demande adressée par Sainte Marguerite- Marie, en 1675, plus de douze millions de drapeaux et fanions français ornés du Sacré Cœur de Jésus furent portés par les soldats, les régiments, etc. En 1917, la République a interdit la consécration individuelle des soldats au Sacré Cœur et le port du Sacré Cœur.
Le 16 janvier 1917 une lettre de Claire Ferchaud est remise à Raymond Poincaré, président de la République. Elle lui fait part d’un message qu’elle dit avoir reçu du Christ, qui contient une double demande : sa conversion et l’apposition du Sacré-Cœur sur le drapeau national. Malgré leur rencontre du 21 mars, et un nouveau courrier envoyé le 1er mai, ses démarches resteront sans effet. «… Jésus veut sauver la France et les Alliés, et c’est par vous, Monsieur le Président, que le Ciel veut agir, si vous êtes docile à la voix divine. Il y a des siècles déjà, le Sacré-Cœur avait dit à la B. Marguerite-Marie : « Je désire que mon Cœur soit peint sur le drapeau national, et je les rendrai victorieux de tous leurs ennemis ». Dieu semble avoir dit ces paroles pour nos temps actuels. L’heure est arrivée où son Cœur doit régner malgré tous les obstacles. Ce Cœur sacré, j’ai eu la grâce d’en contempler la face adorable… Monsieur, voici les paroles sacrées que j’ai entendues de la bouche même de Notre-Seigneur : « Va dire au chef qui gouverne la France de se rendre à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre avec les rois des nations alliées. Là, solennellement, les drapeaux de chaque nation seront bénis, puis le Président devra épingler l’image de mon Cœur sur chacun des étendards présents. Ensuite, M. Poincaré et tous les rois alliés à la tête de leur pays, ordonneront officiellement que le Sacré-Cœur soit peint sur tous les drapeaux de chaque régiment français et allié. Tous les soldats devront être recouvert de cet insigne de salut » ».
Le 26 mars, les drapeaux alliés (France, Angleterre, Belgique, Italie, Russie, Serbie, Roumanie, Pologne, Japon), écussonnés du Sacré-Cœur, sont bénis solennellement à Paray-le-Monial.
Le 8 juin 1917 l’Episcopat français s’engage par vœu à célébrer solennellement dans tous les diocèses la fête du Sacré-Cœur: «Afin d’obtenir la prompte victoire de nos armes et la régénération chrétienne de notre patrie, Nous, Cardinaux, Archevêques et Evêques de France, nous nous engageons par vœu, en notre nom et au nom de nos successeurs, à faire célébrer solennellement, chaque année, à perpétuité, dans toutes les églises et chapelles de nos diocèses, la fête du Sacré-Cœur de Jésus, au jour qu’Il a Lui-même indiqué, c’est-à-dire le vendredi après l’octave du Saint-Sacrement».
Ce même mois, des soldats alliés se rassemblent à Paray-le-Monial autour de leurs étendards, sur lesquels a été ajouté l’emblème du Cœur du Christ. Le 15, jour de la fête du Sacré-Cœur, ils se retrouvent à Montmartre pour une « journée des soldats catholiques des armées alliées », et le cardinal Amette (1850-1920) y prononce leur consécration au Sacré-Cœur: « Nous vous consacrons nos armées : inspirez les chefs, donnez aux soldats le courage dans les combats et la générosité dans le sacrifice ; couvrez-nous de votre protection et conduisez-nous à la victoire. Nous vous consacrons autant qu’il dépend de nous, notre patrie et les nations alliées : faites régner parmi elles « la justice qui élève les peuples » et accordez-leur le triomphe dans la lutte qu’elles soutiennent pour la défense du droit. Cœur adorable de Dieu, les nations alliées vous implorent. Bénissez-les, protégez-les, sauvez-les ». (Acte de consécration des armées alliées par le cardinal Amette, extrait, in Alain Denizot, Le Sacré-Cœur et la Grande Guerre, Paris, N.E.L., 1994).
Le 1er juin, les préfets interdisent l’apposition de tout emblème sur le drapeau national, et menacent de poursuite les contrevenants (circulaire du ministre de l’Intérieur Malvy). Par décisions ministérielles en date des 18 et 29 juillet, au nom de la liberté de conscience et de la neutralité religieuse de l’Etat français, le gouvernement interdit la consécration des soldats au Sacré-Cœur et le port, aux armées, de fanions et étendards du Sacré-Cœur.
Le 7 juin 1918 première célébration nationale de la fête du Sacré-Cœur de Jésus dans l’ensemble des églises de France, suite au vœu formulé par les évêques l’année précédente.
Le 9 juillet 1918, le Maréchal Foch, entouré de son état-major, consacre les armées alliées au Sacré-Cœur dans l’église du petit village de Bombon, et commence lui-même une neuvaine au Sacré-Cœur. L’offensive allemande déclenchée le 15 juillet en vue de prendre Paris échoue, et le succès de la contre-offensive du 18 juillet marque la deuxième victoire de la Marne. Nous lisons dans une plaque commémorative de l’église de Bombon : «Hommage de reconnaissance au célèbre Maréchal Foch qui, pendant les cinq mois et demi qu’il est resté à Bombon, a fortement édifié les habitants de cette paroisse, autant par la vivacité de sa foi que par la simplicité de sa piété. Aussi, le Dieu des Armées a-t-Il récompensé miraculeusement le génie de l’illustre généralissime. Sans doute, nul n’oubliera la science, la valeur et la bravoure de ses officiers ni l’héroïsme de ses soldats. Jamais non plus on n’oubliera qu’il a consacré le 9 juillet 1918 au Sacré-Cœur les armées françaises et alliées et qu’aussitôt sa neuvaine finie, le Ciel lui répondit le 18 juillet 1918 en lui accordant cette merveilleuse victoire qui fera pour toujours l’admiration des peuples et des plus grands capitaines ».
Citons les paroles prononcées par le Maréchal Foch au mois d’octobre 1919: «Si je devais faire l’historique de ce qu’ils furent, ces soldats, ce sont des pages d’épopée que vous entendriez. Ils ont dépassé toutes les limites de l’endurance, de la valeur, de la bonne volonté, Dieu sait en quelles épreuves terribles, par la durée et la violence. Les actes accomplis par les évêques, les fidèles et l’armée, pour réaliser le Message du Sacré-Cœur, en particulier le déploiement fréquent du drapeau du Sacré-Cœur sur le champ de bataille, joints aux prières, aux sacrifices et aux réparations de toute la France, lui ont attiré la protection du Christ. Ne nous lassons pas de l’en remercier ».
Je voudrais terminer cette homélie avec les lumineuses paroles du Pape Pie XI :
«Nous proclamions ouvertement deux choses: l’une, que ce débordement de maux sur l’univers provenait de ce que la plupart des hommes avaient écarté Jésus-Christ et sa loi très sainte des habitudes de leur vie individuelle aussi bien que de leur vie familiale et de leur vie publique; l’autre, que jamais ne pourrait luire une ferme espérance de paix durable entre les peuples tant que les individus et les nations refuseraient de reconnaître et de proclamer la souveraineté de Notre Sauveur. C’est pourquoi, après avoir affirmé qu’il fallait chercher la paix du Christ par le règne du Christ, Nous avons déclaré Notre intention d’y travailler dans toute la mesure de Nos forces ; par le règne du Christ, disions-Nous, car, pour ramener et consolider la paix, Nous ne voyions pas de moyen plus efficace que de restaurer la souveraineté de Notre Seigneur. Si les hommes venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables – une juste liberté, l’ordre et la tranquillité, la concorde et la paix se répandraient infailliblement sur la société tout entière. Oh! Qui dira le bonheur de l’humanité si tous, individus, familles, États, se laissaient gouverner par le Christ! » (Pie XI Encyclique Quas Primas, du 11 décembre 1925 pour l’institution de la solennité du Christ-Roi).
Que le courage de ses enfants qui ont versé leur sang sur le champ d’honneur et les nombreux signes de la prédilection divine aide la France à réveiller en elle-même sa vocation de fille ainée de l’Eglise.
Ainsi soit-il.