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Homélie pour le 5ème dimanche de Carême 2018 (EA).

L’avarice.

Le moyen le plus efficace pour nous libérer de l’avarice est le vœu de pauvreté, qui peut évidemment être vécu dans son esprit par tout le monde, quel que soit son état de vie.

Cet esprit de pauvreté se manifeste par deux attitudes : le dépouillement volontaire et sans tristesse, et la confiance totale dans la Divine Providence.

Nous devons pratiquer les vertus contraires, en particulier la libéralité et la générosité en donnant spécialement aux démunis, sans retour, sans retard, gratuitement.

D’après le « Précis de théologie ascétique et mystique » de l’abbé Adolphe Tanquerey.

Nous célébrons aujourd’hui le 5ème dimanche de Carême, tout proche déjà de la semaine sainte, les jours sacrés de notre rédemption.
Et il nous faut conclure la présentation des péchés capitaux afin d’avoir les outils nécessaires pour notre travail spirituel en vue d’une véritable conversion de notre cœur à Dieu.
Rappelons-nous rapidement quels sont les péchés capitaux.
Saint Thomas enseigne qu’on les appelle ainsi non pas en raison de leur gravité (meurtre et blasphème n’y figurent pas) mais parce qu’ils induisent d’autres péchés : « on appelle vice capital celui qui donne naissance à d’autres vices » (Somme théologique I – II, 84).
Et il n’hésite pas à dire qu’il vaudrait mieux les appeler « vices capitaux ». En fait, le péché capital fait plutôt partie du domaine des vices, des habitudes. Si on l’entretient, cela devient presque involontaire. Notre liberté est assez réduite, on devient prisonnier de nos vices.
Selon notre caractère, notre personnalité, nous sommes plus ou moins disposés à tel ou tel péché capital. Cela n’enlève pas notre liberté, mais cela suppose d’être vigilant dans tel ou tel domaine.
Ces péchés capitaux s’enracinent dans notre tempérament (il y a des terrains plus ou moins favorables) ou se greffent sur des blessures reçues dans l’enfance. Mais comme il y a une part de volonté, de responsabilité personnelle on peut s’en sortir.
Le chiffre sept est le chiffre de la perfection. Comme il a sept vertus principales (trois théologales et quatre cardinales) d’où découlent les autres vertus, de même les autres vices ou péchés trouvent leur origine dans un des sept vices capitaux.

On a parlé jusqu’à maintenant de :
L’orgueil : qu’on peut l’appeler aussi “égotisme” : moi, je prends la place de Dieu dans ma vie, je décide, je commande. Et ses remèdes principaux sont le vœu d’obéissance et la vertu de la foi.
L’envie ou jalousie : c’est “l’égocentrisme”, je veux que tous m’aiment, je veux attirer tous les cœurs. Ses remèdes fondamentaux sont le vœu de chasteté et la vertu de l’espérance.
La colère : c’est cette réaction démesurée devant quelque chose que je considère comme injuste. Ses remèdes, la vertu de prudence et le silence. La gourmandise et la luxure, lorsque l’on recherche des biens pour notre corps d’une manière irrationnelle et comme une finalité. Leurs remèdes sont la vertu de tempérance, la mortification et la clôture (c’est à dire faire attention, pour soi et pour sa famille, à ne pas être exposé aux attaques de ce monde charnel et ennemi de Dieu).
La paresse : devant la difficulté d’aller vers Dieu on choisit la facilité et on craint l’effort du devoir. Son remède principal est la vertu de la force, mais aussi la justice, car on a reçu des talents qu’il faut faire fructifier.

Aujourd’hui c’est le tour de l’avarice. C’est un vice terrible qui nous fait beaucoup de mal et que l’on peut identifier avec l’égoïsme : tout est pour moi et, en même temps, je suis pour les choses. On se crée une idole des biens matériels, les choses occupent la place de Dieu.

En premier lieu, on étudiera sa nature. Qu’est-ce que l’avarice ?
L’avarice est l’amour désordonné des biens de la terre. Pour montrer où se trouve le désordre de l’avarice, il faut d’abord se rappeler le but pour lequel Dieu a donné à l’homme les biens temporels.
Le but que Dieu s’est proposé est double : notre utilité personnelle et celle de nos frères.
Les biens de la terre nous sont donnés pour subvenir aux besoins temporels de l’homme, de l’âme et du corps, pour conserver notre vie et la vie de ceux qui dépendent de nous et nous procurer les moyens de cultiver notre intelligence et nos autres facultés.
Ces biens nous sont aussi donnés pour venir en aide à ceux de nos frères qui sont dans l’indigence. Nous sommes donc, dans une certaine mesure, les trésoriers de la Providence et devons disposer de notre superflu pour soulager les pauvres.

Saint Thomas d’Aquin a très bien expliqué en quoi consiste ce désordre moral : «  L’avarice peut impliquer deux sortes de dérèglement à l’égard des biens extérieurs. Le premier se rapporte immédiatement à leur acquisition ou à leur conservation et consiste dans le fait qu’on acquiert ou conserve plus qu’on ne doit. En ce sens, l’avarice est un péché qui va directement contre le prochain, parce qu’au point de vue des richesses extérieures, un homme ne peut être dans la surabondance sans qu’un autre ne soit dans le besoin.
Le second dérèglement concerne les affections intérieures que l’on a pour les richesses, quand on les aime ou qu’on les désire, ou qu’on se délecte en elles de manière immodérée. À ce point de vue, l’avarice est un péché de l’homme contre lui-même, parce que son affection est par là désordonnée (on devient esclave des choses). En conséquence, l’avarice est aussi un péché contre Dieu, en tant que l’homme méprise le bien éternel pour un temporel.
 »

Un auteur moderne fait cette description, très juste : « Un avare, généralement, ce n’est pas simplement celui qui est attaché de cœur aux biens de ce monde et travaille avec fièvre à faire fortune pour n’importe quel motif, confort de vie, plaisir, vanité d’étaler sa réussite, honneurs, influence. C’est celui qui amasse pour la joie de posséder, qui accumule des biens, spécialement des métaux précieux comme l’or dont la séduction miroitante lui allume le regard, parce qu’il éprouve un plaisir tout spécial à se sentir riche.
Passion très égoïste, tout à fait matérialiste, naissant d’un sentiment perverti de propriété, dont l’origine peut être simplement le désir légitime de sécurité, qui se traduit couramment par la peur de manquer, l’avarice admet bien des degrés, depuis la simple mesquinerie et l’économie excessive jusqu’à une sorte d’adoration du métal jaune et brillant. La saveur de posséder des richesses peut en arriver à faire mener une vie de misère : des mendiants sont morts à côté de trésors entassés, auxquels ils n’avaient pas le cœur de toucher. Ainsi comprise, l’avarice se manifeste surtout chez des vieillards, par défaut d’autres passions. Elle est aussi plus fréquente dans de vieux pays d’Europe, comme le nôtre, où l’économie et la prévoyance étaient traditionnelles, et dans les milieux où le gain est difficile et demande un travail dur et soutenu, comme dans la paysannerie ou l’artisanat 
 » .

Malice dans l’avarice.
Saint François de Sales a écrit dans l’Introduction à la vie dévote : « Si vous êtes inclinés à l’avarice, pensez souvent à la folie de ce péché qui nous rend esclaves de ce qui n’est créé que pour nous servir ; qu’à la mort, aussi bien faudra-t-il tout quitter et le laisser entre les mains de tel qui le dissipera ou auquel cela servira de ruine ou de damnation. »

Quelle en est sa malice ?
Saint Paul assure que « la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent » (1 Tm 6, 10). Or l’Ecriture affirme que la source de tous les péchés, c’est l’orgueil (Si 10, 10). Qu’en est-il ? Saint Thomas d’Aquin répond en distinguant : l’orgueil, c’est la fin des fins. Tous les péchés conduisent à gonfler l’ego. La cupidité, elle, est première dans l’ordre des moyens : l’argent offre de réaliser tous les désirs.
L’avarice est une marque de défiance à l’égard de Dieu, qui a promis de veiller sur nous avec une sollicitude paternelle, et de ne nous laisser jamais manquer du nécessaire pourvu que nous ayons confiance en lui.
Or l’avare, au lieu de mettre sa confiance en Dieu, la met dans la multitude de ses richesses, et fait injure à Dieu, en se défiant de lui.
Ce péché est donc grave par sa nature pour les raisons que nous venons d’indiquer ; il l’est aussi lorsqu’il fait manquer aux devoirs de la justice, par les moyens frauduleux dont on se sert pour acquérir et détenir la richesse ; de la charité, quand on ne fait pas les aumônes nécessaires ; de la religion, quand on se laisse tellement absorber par les affaires qu’on laisse de côté ses devoirs religieux.

Que nous dit la Parole de Dieu ? Nous trouvons dans le Nouveau Testament de paroles très fortes contre ce vice, qui nous font peur : Jésus affirme qu’« il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu  » (Mt 19, 24) ; ou d’avertir : « Malheur à vous, riches, parce que vous avez ici-bas votre consolation ! » (Lc 6, 24). Ceci est également repris par saint Paul : «  Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et le piège de Satan, dans de nombreux désirs vains et pernicieux qui conduisent l’homme à se perdre et à sa damnation  » (1 Tm, 6, 9) ; et plus durement encore par saint Jacques : « Alors, vous, les riches, pleurez à grand bruit sur les malheurs qui vous attendent ! Votre richesse est pourrie, vos vêtements rongés par des vers, votre or et votre argent rouillent et leur rouille servira contre vous de témoignage : elle dévorera votre chair comme un feu » (1 Jc 5, 1-3).

Comment le reconnaître dans notre vie ?
En regardant si l’on a des vices dérivés de l’avarice, qu’on appelle les « filles » de l’avarice : qui, selon Grégoire le Grand, sont l’insensibilité du cœur, tel le mauvais riche de l’Evangile, indifférent au pauvre Lazare (Lc 16, 19-30) ; l’inquiétude dans la possession, celui qui vit en constante crainte de perdre ses richesses ; la violence dans l’appropriation, combien de familles unies se déchirent lors d’un héritage ? ; le vol et même la trahison, on peut penser au traître du Seigneur, Judas Iscariote. Sans parler de la « tristesse » du jeune homme riche de l’évangile.
Aussi, comme la question de l’argent touche à notre sécurité, nous pouvons examiner si l’on se soucie plus d’acquérir toute sécurité matérielle que pour être fidèles à nos devoirs envers Dieu et vivre sous sa Providence. L’avarice c’est mettre notre sécurité là où il ne faut pas, dans l’argent et pas tellement en Dieu.
Pascal Ide nous conseille de regarder si cela, la question de l’argent, occupe beaucoup notre esprit ou nos paroles. Et saint François de Sales propose trois critères : « vous êtes avare », disait-il, « si vous désirez longuement, ardemment et avec inquiétude les biens que vous n’avez pas… »
Et un autre auteur propose un test pratique pour vérifier si l’argent ne domine pas nos pensées : passe–t-on beaucoup de temps à comparer les prix , comment est-ce que je réagis quand je me fais « voler » par un commerçant, ou quand je repère un article acheté récemment moins cher ailleurs ? Ai-je l’esprit de pauvreté évangélique, à la suite de Jésus et des apôtres, ou est-ce que je cherche plutôt à avoir toujours davantage et toujours la dernière ou la meilleure chose ?

Remèdes pour combattre l’avarice.

Nous pouvons dire que le remède général est la vertu de la charité. Sortir de nous même, penser aux autres, se donner et donner de soi… c’est le premier et le plus puissant remède pour combattre l’égoïsme.
Et le moyen le plus efficace pour nous libérer de l’avarice c’est le vœu de pauvreté, qui peut évidemment être vécu dans son esprit par tout le monde, quel que soit son état de vie.
Cet esprit de pauvreté se manifeste par deux attitudes : le dépouillement volontaire et sans tristesse et la confiance totale dans la Divine Providence.
Jésus, dans l’Evangile, l’affirme très clairement en nous mettant en garde contre l’idolâtrie de l’argent : «  Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. Voilà pourquoi je vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre vie, ni de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?… Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît  » (Mt 6, 24-33).
Grandir dans la foi en la Providence : où met-on notre sécurité ? En Dieu ou dans des biens matériels ? Ce n’est pas de l’imprévoyance : il est normal, par exemple, d’économiser (pour les études des enfants…) mais cela n’empêche pas de se remettre entre les mains de Dieu, d’être généreux et de se soucier principalement de notre âme.
Nous devons pratiquer les vertus contraires, en particulier la libéralité et la générosité en donnant spécialement aux démunis, sans retour, sans retard, gratuitement.

Pour conclure nous pouvons faire nôtres les paroles de Saint Basile le grand : « De quel prix t’apparaîtra au jour du jugement cette parole de Jésus : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais nu et vous m’avez vêtu » (Mt 25, 34-36). Au contraire, quel frisson t’agitera, quelle sueur t’inondera, quelle obscurité se répandra autour de toi, si tu entends cette condamnation : « Retirez-vous de moi, maudits, allez dans les ténèbres extérieures, celles qui ont été préparées pour le diable et ses anges. Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais nu et vous ne m’avez pas vêtu » (Mt 25, 41-43).
Ce n’est pas le voleur qui est accusé ici, c’est celui qui ne partage pas qui est condamné.
Prends garde, sois généreux, afin que tes richesses personnelles deviennent le prix de ta rançon, et que tu parviennes aux biens célestes qui te sont préparés, par la grâce de Celui qui nous a tous appelés à son royaume, et à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen
 » .

t que Notre Mère du Ciel, Reine des pauvres, nous donne la grâce de purifier notre cœur de l’idolâtrie de l’argent.

Ainsi soit-il.

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