Année 2025- Homélie pour le 7ème dimanche du temps ordinaire, de la Sexagésime (JGA).

christ pantocrator monreale

Aimez vos ennemis.

 

 

La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

 

_________________________________________________________________

Peut être que, à la lecture de l’Evangile d’aujourd’hui, vous avez cru recevoir dix-sept coups de fouets, les dix-sept verbes à l’impératif prononcé par notre Bon Jésus dans ce texte: « aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; bénissez ceux qui vous maudissent; priez pour ceux qui vous diffament; si on te frappe sur une joue, présente l’autre; ne refuse pas ta tunique; donne à qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas; faites pour les hommes ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous; prêtez sans rien attendre; montrez-vous compatissants; ne jugez pas; ne condamnez pas; remettez; donnez»
Saint Bede commente: « Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis ». Et Saint Jean Chrysostome ajoute: « Il ne dit pas: « Ne haïssez point », mais : « Aimez » et non seulement: « Aimez » mais : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent »».

Si nous prenons sérieusement l’Evangile d’aujourd’hui nous ne pouvons pas ne pas être déchiré par ces verbes jaillis de la bouche du Seigneur comme des pierres coupantes:
D’abord parce que il semblerait que si on s’y prend comme çà, il n’y a plus de vie possible en société. Faut-il laisser faire les violents? Faut-il renoncer à combattre l’arrogance de ceux qui nous accusent injustement? A l’heure de la «tolérance zéro», cet Evangile est-il encore à jour? C’est beau les beaux principes, mais il semble inapplicable.
S’ajoute à cela une deuxième souffrance. Nietzsche dénonçait la faiblesse chrétienne, pour lui, le christianisme était la religion de la pitié, il l’accusait d’inviter à la fuite du monde réel, de promouvoir une compassion débilitante, de déviriliser les hommes. La religion chrétienne « préserve ce qui est mûr pour la disparition, elle prend la défense des déshérités et des condamnés de la vie. Par le nombre et la variété des choses manquées qu’elle retient dans la vie, elle donne à la vie elle-même un aspect sombre et douteux » (L’Antéchrist). Et si les chrétiens étaient mous alors qu’ils se croient doux? Est-ce que je vais être le seul au monde à présenter l’autre joue à celui qui m’a frappé?
Et ce n’est pas tout. Il y a une troisième souffrance, la plus personnelle: je ne suis pas un surhomme; je suis faible. Même si j’en reconnais le bien-fondé, ces dix-sept impératifs se dressent devant moi comme un massif montagneux que je veux bien admirer d’en-bas mais que je suis incapable de gravir. J’ai des ennemis, des rancœurs, des histoires de famille qui hantent ma mémoire, des souvenirs qui rongent mon cœur comme les rats rongent les fruits, jusqu’à les vider de leurs substance. Alors pardonner mes ennemis? Donner sans retour? Ne pas juger? Je suis démuni, incapable de le faire.

Ce texte semble alors irréalisable. Et si quelqu’un dit que ces impératifs sont des simples conseils, on ampute l’Evangile de toutes ses exigences et si on prétend que ces commandements sont des préceptes, il semblerait qu’ils commandent l’impossible. A moins que ces commandements relèvent d’une Loi Nouvelle. Or le premier de ces dix-sept verbes à l’impératif, c’est le verbe aimer: « Aimez vos ennemis ». En grec: agapaté, c’est-à-dire aimez d’un amour de charité, d’un amour divin. Celui qui aime Dieu, le possède en lui-même. Deus caritas est: « Dieu est amour et qui demeure en cet amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

Pour le dire autrement, si votre belle-mère, votre patron, vos enfants (ou vos parents), votre supérieur vous sont insupportables, ce n’est pas un effort de votre seule volonté qui va vous les rendre aimables et supportables, c’est l’amour de charité, l’amour de Dieu fort et brûlant qui habite en vous parce qu’Il vous l’a donné et parce que vous l’avez accueilli. Le regard aimant que vous porterez sur ces ennemis n’est pas hypocrite, c’est le regard de Dieu sur eux et le vôtre uni au sien. Quand David épargne Saül, dans son campement, ce n’est pas parce qu’il a un mental d’acier qui lui permet de maîtriser ses pulsions, c’est parce que l’amour de Dieu le rend capable de voir Saül comme Dieu le voit. «L’amour de Dieu n’est jamais inactif, dit Saint Grégoire de Nysse; il opère de grandes choses». «Vous me direz -ajoute Saint Jean Chrysostome- comment pouvoir mettre en pratique ce précepte? Quoi ! En voyant Jésus qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats et enfin mis à mort ?».

C’est Jésus, qui donne la Charité, qui donne la vie spirituelle et qui permet d’agir comme Dieu le fait. Dieu ne fait rien pour nous sans nous. Si nous y sommes réceptifs, la Parole de Dieu, les sacrements, l’enseignement de l’Église instillent en nous goutte à goutte la Charité, la Vie de Dieu. Ils nous rendent différents et nous permettent d’agir d’une manière différente de celle du monde. Et les chrétiens doivent être différents des autres hommes! Unir notre volonté à la volonté de Dieu, librement et par amour, c’est notre vocation d’Enfants de Dieu.

Un des plus bels exemples de pardon est celui de Sainte Josephine Bakhita, une esclave devenue religieuse. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. A l’âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d’esclaves, battue jusqu’au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d’un général turc et elle fut chaque jour battue jusqu’au sang; il en résulta qu’elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Sainte Joséphine Bakhita a eu aussi l’héroïsme de regarder son passé avec les yeux du Christ. Lorsqu’on l’interrogeait sur les négriers et ses anciens bourreaux, elle avait ces réponses stupéfiantes, directement inspirées par l’Evangile que nous proclamons ce dimanche: « Je n’ai jamais détesté personne. Qui sait, peut-être qu’ils ne se rendaient pas compte du mal qu’ils faisaient? ». « Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse ». « Les pauvres, peut-être ne savaient-ils pas qu’ils me faisaient si mal: eux ils étaient les maîtres et moi j’étais leur esclave. De même que nous sommes habitués à faire le bien, ainsi les négriers faisaient cela, par habitude, non par méchanceté ». Un tel exemple nous renvoie à la médiocrité de notre patience: dans nos familles, dans nos communautés, il y a tant d’occasions de subir un tort, une injustice, voire une violence. Tout en défendant ce qui doit l’être, avons-nous un cœur assez fort pour supporter et pardonner? Comme nous y invite saint Paul : «Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21).

«Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : “Et vous serez les enfants du Très-Haut”. Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise» (Saint Ambroise). «Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde! Elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine» (Saint Cyrille).

Publié le 24 février 2025

Année 2025- Homélie pour le 7ème dimanche du temps ordinaire, de la Sexagésime (JGA).

Aimez vos ennemis.

 

 

La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

 

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Peut être que, à la lecture de l’Evangile d’aujourd’hui, vous avez cru recevoir dix-sept coups de fouets, les dix-sept verbes à l’impératif prononcé par notre Bon Jésus dans ce texte: « aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; bénissez ceux qui vous maudissent; priez pour ceux qui vous diffament; si on te frappe sur une joue, présente l’autre; ne refuse pas ta tunique; donne à qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas; faites pour les hommes ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous; prêtez sans rien attendre; montrez-vous compatissants; ne jugez pas; ne condamnez pas; remettez; donnez»
Saint Bede commente: « Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis ». Et Saint Jean Chrysostome ajoute: « Il ne dit pas: « Ne haïssez point », mais : « Aimez » et non seulement: « Aimez » mais : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent »».

Si nous prenons sérieusement l’Evangile d’aujourd’hui nous ne pouvons pas ne pas être déchiré par ces verbes jaillis de la bouche du Seigneur comme des pierres coupantes:
D’abord parce que il semblerait que si on s’y prend comme çà, il n’y a plus de vie possible en société. Faut-il laisser faire les violents? Faut-il renoncer à combattre l’arrogance de ceux qui nous accusent injustement? A l’heure de la «tolérance zéro», cet Evangile est-il encore à jour? C’est beau les beaux principes, mais il semble inapplicable.
S’ajoute à cela une deuxième souffrance. Nietzsche dénonçait la faiblesse chrétienne, pour lui, le christianisme était la religion de la pitié, il l’accusait d’inviter à la fuite du monde réel, de promouvoir une compassion débilitante, de déviriliser les hommes. La religion chrétienne « préserve ce qui est mûr pour la disparition, elle prend la défense des déshérités et des condamnés de la vie. Par le nombre et la variété des choses manquées qu’elle retient dans la vie, elle donne à la vie elle-même un aspect sombre et douteux » (L’Antéchrist). Et si les chrétiens étaient mous alors qu’ils se croient doux? Est-ce que je vais être le seul au monde à présenter l’autre joue à celui qui m’a frappé?
Et ce n’est pas tout. Il y a une troisième souffrance, la plus personnelle: je ne suis pas un surhomme; je suis faible. Même si j’en reconnais le bien-fondé, ces dix-sept impératifs se dressent devant moi comme un massif montagneux que je veux bien admirer d’en-bas mais que je suis incapable de gravir. J’ai des ennemis, des rancœurs, des histoires de famille qui hantent ma mémoire, des souvenirs qui rongent mon cœur comme les rats rongent les fruits, jusqu’à les vider de leurs substance. Alors pardonner mes ennemis? Donner sans retour? Ne pas juger? Je suis démuni, incapable de le faire.

Ce texte semble alors irréalisable. Et si quelqu’un dit que ces impératifs sont des simples conseils, on ampute l’Evangile de toutes ses exigences et si on prétend que ces commandements sont des préceptes, il semblerait qu’ils commandent l’impossible. A moins que ces commandements relèvent d’une Loi Nouvelle. Or le premier de ces dix-sept verbes à l’impératif, c’est le verbe aimer: « Aimez vos ennemis ». En grec: agapaté, c’est-à-dire aimez d’un amour de charité, d’un amour divin. Celui qui aime Dieu, le possède en lui-même. Deus caritas est: « Dieu est amour et qui demeure en cet amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

Pour le dire autrement, si votre belle-mère, votre patron, vos enfants (ou vos parents), votre supérieur vous sont insupportables, ce n’est pas un effort de votre seule volonté qui va vous les rendre aimables et supportables, c’est l’amour de charité, l’amour de Dieu fort et brûlant qui habite en vous parce qu’Il vous l’a donné et parce que vous l’avez accueilli. Le regard aimant que vous porterez sur ces ennemis n’est pas hypocrite, c’est le regard de Dieu sur eux et le vôtre uni au sien. Quand David épargne Saül, dans son campement, ce n’est pas parce qu’il a un mental d’acier qui lui permet de maîtriser ses pulsions, c’est parce que l’amour de Dieu le rend capable de voir Saül comme Dieu le voit. «L’amour de Dieu n’est jamais inactif, dit Saint Grégoire de Nysse; il opère de grandes choses». «Vous me direz -ajoute Saint Jean Chrysostome- comment pouvoir mettre en pratique ce précepte? Quoi ! En voyant Jésus qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats et enfin mis à mort ?».

C’est Jésus, qui donne la Charité, qui donne la vie spirituelle et qui permet d’agir comme Dieu le fait. Dieu ne fait rien pour nous sans nous. Si nous y sommes réceptifs, la Parole de Dieu, les sacrements, l’enseignement de l’Église instillent en nous goutte à goutte la Charité, la Vie de Dieu. Ils nous rendent différents et nous permettent d’agir d’une manière différente de celle du monde. Et les chrétiens doivent être différents des autres hommes! Unir notre volonté à la volonté de Dieu, librement et par amour, c’est notre vocation d’Enfants de Dieu.

Un des plus bels exemples de pardon est celui de Sainte Josephine Bakhita, une esclave devenue religieuse. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. A l’âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d’esclaves, battue jusqu’au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d’un général turc et elle fut chaque jour battue jusqu’au sang; il en résulta qu’elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Sainte Joséphine Bakhita a eu aussi l’héroïsme de regarder son passé avec les yeux du Christ. Lorsqu’on l’interrogeait sur les négriers et ses anciens bourreaux, elle avait ces réponses stupéfiantes, directement inspirées par l’Evangile que nous proclamons ce dimanche: « Je n’ai jamais détesté personne. Qui sait, peut-être qu’ils ne se rendaient pas compte du mal qu’ils faisaient? ». « Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse ». « Les pauvres, peut-être ne savaient-ils pas qu’ils me faisaient si mal: eux ils étaient les maîtres et moi j’étais leur esclave. De même que nous sommes habitués à faire le bien, ainsi les négriers faisaient cela, par habitude, non par méchanceté ». Un tel exemple nous renvoie à la médiocrité de notre patience: dans nos familles, dans nos communautés, il y a tant d’occasions de subir un tort, une injustice, voire une violence. Tout en défendant ce qui doit l’être, avons-nous un cœur assez fort pour supporter et pardonner? Comme nous y invite saint Paul : «Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21).

«Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : “Et vous serez les enfants du Très-Haut”. Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise» (Saint Ambroise). «Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde! Elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine» (Saint Cyrille).

Publié le 24 février 2025

Année 2025- Homélie pour le 7ème dimanche du temps ordinaire, de la Sexagésime (JGA).

christ pantocrator monreale

Aimez vos ennemis.

 

 

La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

 

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Peut être que, à la lecture de l’Evangile d’aujourd’hui, vous avez cru recevoir dix-sept coups de fouets, les dix-sept verbes à l’impératif prononcé par notre Bon Jésus dans ce texte: « aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; bénissez ceux qui vous maudissent; priez pour ceux qui vous diffament; si on te frappe sur une joue, présente l’autre; ne refuse pas ta tunique; donne à qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas; faites pour les hommes ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous; prêtez sans rien attendre; montrez-vous compatissants; ne jugez pas; ne condamnez pas; remettez; donnez»
Saint Bede commente: « Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis ». Et Saint Jean Chrysostome ajoute: « Il ne dit pas: « Ne haïssez point », mais : « Aimez » et non seulement: « Aimez » mais : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent »».

Si nous prenons sérieusement l’Evangile d’aujourd’hui nous ne pouvons pas ne pas être déchiré par ces verbes jaillis de la bouche du Seigneur comme des pierres coupantes:
D’abord parce que il semblerait que si on s’y prend comme çà, il n’y a plus de vie possible en société. Faut-il laisser faire les violents? Faut-il renoncer à combattre l’arrogance de ceux qui nous accusent injustement? A l’heure de la «tolérance zéro», cet Evangile est-il encore à jour? C’est beau les beaux principes, mais il semble inapplicable.
S’ajoute à cela une deuxième souffrance. Nietzsche dénonçait la faiblesse chrétienne, pour lui, le christianisme était la religion de la pitié, il l’accusait d’inviter à la fuite du monde réel, de promouvoir une compassion débilitante, de déviriliser les hommes. La religion chrétienne « préserve ce qui est mûr pour la disparition, elle prend la défense des déshérités et des condamnés de la vie. Par le nombre et la variété des choses manquées qu’elle retient dans la vie, elle donne à la vie elle-même un aspect sombre et douteux » (L’Antéchrist). Et si les chrétiens étaient mous alors qu’ils se croient doux? Est-ce que je vais être le seul au monde à présenter l’autre joue à celui qui m’a frappé?
Et ce n’est pas tout. Il y a une troisième souffrance, la plus personnelle: je ne suis pas un surhomme; je suis faible. Même si j’en reconnais le bien-fondé, ces dix-sept impératifs se dressent devant moi comme un massif montagneux que je veux bien admirer d’en-bas mais que je suis incapable de gravir. J’ai des ennemis, des rancœurs, des histoires de famille qui hantent ma mémoire, des souvenirs qui rongent mon cœur comme les rats rongent les fruits, jusqu’à les vider de leurs substance. Alors pardonner mes ennemis? Donner sans retour? Ne pas juger? Je suis démuni, incapable de le faire.

Ce texte semble alors irréalisable. Et si quelqu’un dit que ces impératifs sont des simples conseils, on ampute l’Evangile de toutes ses exigences et si on prétend que ces commandements sont des préceptes, il semblerait qu’ils commandent l’impossible. A moins que ces commandements relèvent d’une Loi Nouvelle. Or le premier de ces dix-sept verbes à l’impératif, c’est le verbe aimer: « Aimez vos ennemis ». En grec: agapaté, c’est-à-dire aimez d’un amour de charité, d’un amour divin. Celui qui aime Dieu, le possède en lui-même. Deus caritas est: « Dieu est amour et qui demeure en cet amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). La nature de l’amour, c’est de transformer celui qui aime en ce qui est aimé. Si nous aimons Dieu, source de l’Amour, nous devenons divins et donc capables de ce dont Dieu est capable; nous devenons capables d’agir comme Dieu le fait. « Sans moi vous ne pouvez rien faire », nous dit Jésus, mais avec Lui nous sommes capables d’actions héroïques.

Pour le dire autrement, si votre belle-mère, votre patron, vos enfants (ou vos parents), votre supérieur vous sont insupportables, ce n’est pas un effort de votre seule volonté qui va vous les rendre aimables et supportables, c’est l’amour de charité, l’amour de Dieu fort et brûlant qui habite en vous parce qu’Il vous l’a donné et parce que vous l’avez accueilli. Le regard aimant que vous porterez sur ces ennemis n’est pas hypocrite, c’est le regard de Dieu sur eux et le vôtre uni au sien. Quand David épargne Saül, dans son campement, ce n’est pas parce qu’il a un mental d’acier qui lui permet de maîtriser ses pulsions, c’est parce que l’amour de Dieu le rend capable de voir Saül comme Dieu le voit. «L’amour de Dieu n’est jamais inactif, dit Saint Grégoire de Nysse; il opère de grandes choses». «Vous me direz -ajoute Saint Jean Chrysostome- comment pouvoir mettre en pratique ce précepte? Quoi ! En voyant Jésus qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats et enfin mis à mort ?».

C’est Jésus, qui donne la Charité, qui donne la vie spirituelle et qui permet d’agir comme Dieu le fait. Dieu ne fait rien pour nous sans nous. Si nous y sommes réceptifs, la Parole de Dieu, les sacrements, l’enseignement de l’Église instillent en nous goutte à goutte la Charité, la Vie de Dieu. Ils nous rendent différents et nous permettent d’agir d’une manière différente de celle du monde. Et les chrétiens doivent être différents des autres hommes! Unir notre volonté à la volonté de Dieu, librement et par amour, c’est notre vocation d’Enfants de Dieu.

Un des plus bels exemples de pardon est celui de Sainte Josephine Bakhita, une esclave devenue religieuse. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. A l’âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d’esclaves, battue jusqu’au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d’un général turc et elle fut chaque jour battue jusqu’au sang; il en résulta qu’elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Sainte Joséphine Bakhita a eu aussi l’héroïsme de regarder son passé avec les yeux du Christ. Lorsqu’on l’interrogeait sur les négriers et ses anciens bourreaux, elle avait ces réponses stupéfiantes, directement inspirées par l’Evangile que nous proclamons ce dimanche: « Je n’ai jamais détesté personne. Qui sait, peut-être qu’ils ne se rendaient pas compte du mal qu’ils faisaient? ». « Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée et ceux-là qui m’ont torturée, je m’agenouillerais pour leur baiser les mains, car si cela ne fût pas arrivé je ne serais pas maintenant chrétienne et religieuse ». « Les pauvres, peut-être ne savaient-ils pas qu’ils me faisaient si mal: eux ils étaient les maîtres et moi j’étais leur esclave. De même que nous sommes habitués à faire le bien, ainsi les négriers faisaient cela, par habitude, non par méchanceté ». Un tel exemple nous renvoie à la médiocrité de notre patience: dans nos familles, dans nos communautés, il y a tant d’occasions de subir un tort, une injustice, voire une violence. Tout en défendant ce qui doit l’être, avons-nous un cœur assez fort pour supporter et pardonner? Comme nous y invite saint Paul : «Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21).

«Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : “Et vous serez les enfants du Très-Haut”. Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise» (Saint Ambroise). «Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde! Elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine» (Saint Cyrille).

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Publié le 24 février 2025