La Charité apostolique.
Ouvrir le Paradis est une œuvre incomparable. C’est l’œuvre de miséricorde par excellence. Et puisque ce qui est le plus épanouissant c’est de vivre la charité, c’est pourquoi il n’y a rien de plus épanouissant que de consacrer toute sa vie, entièrement, à ouvrir le Paradis à son prochain, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de plus épanouissant que de consacrer sa vie entière à être missionnaire, à être un vrai chrétien.
Nous continuons aujourd’hui avec nos homélies sur les vertus oubliées. Nous parlerons de celle qu’on pourrait appeler charité ou miséricorde apostolique.
«La miséricorde est la compassion que notre cœur éprouve en face de la misère d’autrui, et qui nous pousse à lui venir en aide si nous le pouvons».
Or, ce n’est pas n’importe quel mal que l’on appelle misère. Un mal dont on peut trouver par soi-même un remède n’est pas une misère.
« La misère est précisément la pauvreté de celui qui ne peut trouver par lui-même de remède au mal qui l’accable» Lorsque notre prochain, par une conséquence du péché originel ou du fait de ses péchés personnels, se trouve accablé par un mal en face duquel il est impuissant, notre charité pour lui prend la couleur de la miséricorde: elle devient compassion, mais elle ne se borne pas à «souffrir avec », elle veut également combattre la misère. Ainsi, la miséricorde nous fait nous pencher sur la misère d’autrui pour la regarder, en un sens, comme la sienne propre, mais elle ne se complaît pas dans cette misère: les œuvres de miséricorde cherchent justement à en soulager notre prochain.
Puisque notre prochain peut être touché par la misère dans son âme comme dans son corps, on distingue les œuvres de miséricorde corporelle des œuvres de miséricorde spirituelle. On en énumère traditionnellement sept de chaque espèce.
Œuvres de miséricorde corporelle: donner à manger à ceux qui ont faim; donner à boire à ceux qui ont soif; vêtir ceux qui sont nus; loger les pèlerins; visiter les malades; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts.
Œuvres de miséricorde spirituelle: conseiller ceux qui doutent; enseigner ceux qui sont ignorants; réprimander les pécheurs; consoler les affligés; pardonner les offenses ; supporter patiemment les personnes importunes; prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Parmi les œuvres de Miséricorde, laquelle est la plus importante? Chesterton nous a averti que le monde moderne est envahi par de vieilles vertus chrétiennes devenues folles. Et comment les vertus deviennent-elles folles? Elles deviennent folles lorsqu’elles sont isolées les unes des autres. Ainsi, par exemple, la charité chrétienne devient une vertu folle lorsqu’elle est séparée de la vérité; ou, pour le dire de manière plus graphique, lorsque les œuvres de miséricorde corporelles ont préséance sur les œuvres de miséricorde spirituelles. L’écrivain Donoso Cortés nous avait déjà mis en garde contre ce danger, en prophétisant qu’une Eglise qui se contenterait de s’occuper des besoins corporels des pauvres finirait par être un instrument au service du monde qui, tout en se vantant d’apporter le bien-être à ses sujets, est fondamentalement en train de détruire leur âme. Une Eglise qui ferait tout son possible pour répondre aux besoins matériels des hommes (en leur donnant de la nourriture ou un abri, par exemple) et ne se soucierait pas d’assurer le salut de leurs âmes immortelles aurait cessé d’être l’Eglise de Jésus-Christ et serait devenue un instrument du monde. La charité chrétienne authentique vise d’abord le salut de l’âme; et une fois cela assuré, elle s’occupe de ses besoins corporels. C’est ce que fait saint Paul avec Onésime, l’esclave païen qu’il s’est chargé d’abord de convertir au christianisme et de baptiser; et qu’il, une fois donné le salut de son âme, envoie à Philémon pour qu’il l’accueille dans sa maison. Inverser ce processus (ou reporter sine die ce que saint Paul avait pris soin de faire en premier lieu et sans délai) est une charité folle que, bien sûr, le monde applaudira.
S’occuper du salut éternel de l’âme de son prochain, voilà la plus importante des œuvres de
charité, voilà la plus grande œuvre de miséricorde. C’est ce qu’ont fait les Apôtres, ce que Jésus demande à ses disciples. C’est ce que font les missionnaires. Ouvrir le Paradis aux hommes.
Ouvrir le Paradis comme le Christ a ouvert le Paradis au Bon Larron, Saint Dismas. Si vous demandez à un bon missionnaire ce qu’il fait, il pourrait très bien vous répondre: «Je me consacre à ouvrir le Paradis aux hommes». Le missionnaire, et tout bon chrétien, peut alors être appelé «portier du Paradis», celui qui guide les hommes vers le Paradis et leur ouvre la Porte. Et comme il n’y a rien de mieux pour l’homme (et même pour l’Ange) que le Ciel, le plus grand bienfaiteur de l’Humanité est le missionnaire, c’est à dire le chrétien qui a pris au sérieux les paroles de Jésus: «Allez dans le monde entier. Proclamez l’Evangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé» (Mc 16, 15-16). Notre idée n’est pas nouvelle. Au temps des Saints Pères de l’Eglise, le Pseudo-Denys disait que «l’apostolat est la plus divine des œuvres divines».
Donner à manger à celui qui a faim, boire à celui qui a soif, éduquer celui qui est analphabète, vêtir celui qui est nu, guérir celui qui est malade sont des œuvres de charité. Mais ouvrir le Paradis à une personne, c’est lui apporter un bénéfice infiniment plus grand que de lui donner tous les biens terrestres et matériels et même de lui donner une vie longue et saine. Celui qui gagne le Paradis gagne tout. Celui qui perd le Paradis perd tout. «A quoi sert à un homme de gagner le monde s’il perd son âme?» (Mt 16,26).
Malheureusement, beaucoup de jeunes généreux, dans la fleur de leur âge et de leur ferveur, l’ignorent, ou l’oublient, et c’est pourquoi ils gaspillent leur énergie en se consacrant exclusivement à des œuvres immanentes, c’est-à-dire horizontales, de ce monde. S’ils prenaient conscience du bien infini qu’ils feraient en se consacrant simplement à une authentique action missionnaire, beaucoup plus d’âmes pourraient jouir des délices incommensurables du Paradis éternel. En même temps que nous devons promouvoir les œuvres de miséricorde corporelles, puisque c’est le Christ lui-même qui souffre dans les pauvres, nous devons nous rappeler ce qui suit. Les pâtes et les pommes de terre passent, la santé passe, le froid passe, la tristesse passe, la dépression passe, les calamités passent, la soif passe, les maladies passent. Ce qui ne passe pas, c’est l’Eternité. C’est donc là, vers l’Eternité, que nous devons diriger toutes nos énergies, tous nos élans bienfaisants. Et dans la mesure où la recherche de l’Eternité nous demande de rechercher le bien temporel, nous pourvoirons au bien temporel: «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus» (Mt 6,33).
Ouvrir le Paradis est une œuvre incomparable. C’est l’œuvre de miséricorde par excellence. Et puisque ce qui est le plus épanouissant c’est de vivre la charité, c’est pourquoi il n’y a rien de plus épanouissant que de consacrer toute sa vie, entièrement, à ouvrir le Paradis à son prochain, c’est à-dire qu’il n’y a rien de plus épanouissant que de consacrer sa vie entière à être missionnaire, à être un vrai chrétien. Si l’on y réfléchissait davantage, les vocations missionnaires abonderaient, les actions apostoliques dans tout lieu seraient vraiment nombreuses. Le Missionnaire, donc, en vertu de sa propre vocation, se consacre uniquement à ouvrir le Paradis à son prochain, et tout ce qu’il fait, il le fait pour fournir les moyens qui contribuent à atteindre ce but. Ce qui glorifie le plus Dieu, et par conséquent ce qui lui plaît le plus, c’est que les hommes recherchent, pour eux-mêmes et pour les autres, le Paradis Céleste, où, dans la joie la plus ineffable, les hommes sauvés exultent, pour toujours et à jamais.
Personne, sauf un incroyant, ne peut donc douter que l’Apostolat soit l’œuvre de miséricorde
maximale.
Je termine avec les mots de la petite Thérèse de Lisieux : «Je voudrais éclairer les âmes comme les prophètes et les docteurs. Je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles».
Nous pouvons nous aussi adresser cette belle prière à notre Seigneur Jésus Christ: «Je voudrais, ô mon Bien-Aimé, parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse».