Tu es le Christ.
Pour croire, il faut avoir envie de croire. Et pour avoir envie de croire, il faut aimer et désirer la Vie, la vraie Vie.
Sources:
Homélie du frère Serge-Thomas Bonino, http://toulouse.dominicains.com.
Père Nicolas Bossu http://www.lectio-divina-rc.fr/.
Saint Augustin d’Hippone: Les Confessions 10, 27.
Une ville païenne au pied de la montagne: Jésus choisit un lieu très particulier, Césarée de Philippe, pour poser à ses disciples la question-clé de l’Evangile, «Pour vous, qui suis-je?» (Mt 16,15). «Pierre lui répond: Tu es le Christ» (Mc 8, 29). Que voilà un magnifique exemple d’acte de foi. Je vous propose aujourd’hui de regarder d’un peu plus près, d’analyser en quelques points cet acte de foi, c’est-à-dire cette démarche par laquelle le chrétien adhère à la Parole de Dieu et lui remet rien moins que toute sa vie.
Premier point, la foi est une réponse. «Pierre lui répond: Tu es le Christ». L’initiative du dialogue n’est pas venue de Pierre; elle est venue de Jésus. Jésus a fait le premier pas. Par ses paroles et par ses actes, il a laissé filtrer quelque chose de son identité profonde. Et il nous met en demeure de prendre position. Personnellement. «Pour vous qui suis-je?».
Deuxième point. Nous avons des raisons de croire, pas des raisons aveuglantes, pas des raisons contraignantes, mais des bonnes raisons. Si Pierre répond à Jésus: «Tu es le Christ», c’est que, depuis leur première rencontre, il a écouté Jésus prêcher, il a regardé Jésus agir et aujourd’hui, il arrive à la conclusion: «Tu es le Christ». Jésus a rempli le cahier des charges: guérisons, exorcismes, multiplication des pains, résurrection; sa prédication s’accompagne de signes et de prodiges qui en attestent l’authenticité. Pour qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, le message est clair: Jésus est le Messie.
Mais, troisième point, encore faut-il avoir des yeux pour voir! Car tous ont vu les signes du Royaume mais tous n’ont pas cru. D’où vient la différence? «Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang – la chair et le sang c’est l’homme dans sa fragilité, l’homme laissé à lui-même -, mais elle t’est venue de mon Père qui est dans les cieux.» (Mt 16, 17). Nul ne peut croire sans la grâce, sans cette lumière intérieure qui vient de Dieu et qui nous permet de dépasser les apparences pour rejoindre la réalité profonde des choses.
Toutefois, quatrième point, pour accueillir cette lumière intérieure de la foi, il faut la désirer. «Il y a», disait Pascal, «assez de lumière pour ceux qui veulent croire et assez d’obscurité pour ceux qui ne le veulent pas». Pour croire, il faut avoir envie de croire. Et pour avoir envie de croire, il faut aimer et désirer la Vie, la vraie Vie. Regardez Pierre. A Capharnaüm, Jésus avait tenu des propos si raides que «beaucoup de ses disciples se retirèrent». «Jésus dit alors aux Douze: Voulez-vous partir, vous aussi? Simon-Pierre lui répondit: Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle» (Jn 6, 66-68) Ecoutez Saint Augustin: «Tard je T’ai aimée, Beauté ancienne et si nouvelle; tard je T’ai aimée. Tu m’as appelé, Tu as crié, et Tu as vaincu ma surdité. Tu as montré ta Lumière. Je T’ai goûté, j’ai faim et soif de Toi. Tu m’as touché, et je brûle du désir de ta Paix.»
Magnifique acte de foi, mais, cet acte de foi doit sans cesse être ré-actualisé. La foi n’est jamais acquise une fois pour toutes. Là encore, revenons à l’Evangile. Sous l’action de l’Esprit, Pierre vient de confesser que Jésus est le Messie, le seul maître et seigneur de sa vie, mais voilà que très vite la chair et le sang reprennent le dessus. Pierre projette sur Jésus l’idée toute humaine qu’il se fait, lui, du Messie. La réaction de Jésus est cinglante: «Passe derrière moi, Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Mc 8, 33). «Malheureux es-tu, Simon, fils de Jonas car ces idées ne te sont pas venues de mon Père qui est dans les cieux mais de la chair et du sang». Passe derrière moi, c’est-à-dire reprends ta place de disciple, car un bon disciple ne prend pas les devants, ça marche derrière son maître, sans prétendre lui tracer la route. Comme Pierre et les apôtres, notre foi oscille entre deux pôles: reconnaissance de la suprématie du Maître, il est toute notre vie, et difficile acceptation de la Croix. Si souvent, nous souhaiterions suivre Jésus sans souffrir; à la limite, nous acceptons, dans la foi, qu’il nous sauve par la Croix, mais nous avons du mal à accepter nos propres croix.
Dernière question : Peut-on aimer Jésus et rejeter l’Eglise? Beaucoup de ceux qui s’expriment ainsi ont probablement des raisons de le faire: leur intérêt pour Jésus ne leur fait pas oublier tel contentieux personnel, familial ou culturel dont ils héritent à l’égard d’une Eglise qui a pu les décevoir, voire les blesser. L’histoire de chacun pèse lourd dans le débat! On peut donc comprendre une telle attitude, mais l’honnêteté nous fera tout de même la questionner et peut-être même en montrer le côté paradoxal. Sans doute n’est-il pas inutile ici, pour vérifier la pertinence du débat, d’en préciser les termes.
Quel est ce Jésus qui attire à priori ma sympathie? La question mérite d’être posée. En en appelant à Jésus contre son Eglise, quelle image est-ce que je me fais de lui? Quelles rencontres ou paroles précises de Jésus me portent à lui donner mon adhésion? Au fond, qu’est-ce qui me le rend si sympathique? Est-ce le fait qu’il parle en paraboles sans se préoccuper d’imposer des dogmes et qu’il ne donne aucune consigne morale précise? Image même de la tolérance, il laisserait chacun mener sa vie comme il l’entend. Si tel est le Jésus auquel je me réfère, une lecture un peu attentive des évangiles me fera découvrir un Jésus bien différent de celui que je me représente. Je découvrirai aussi que vouloir être son disciple n’est pas de tout repos !
Quelle est cette Eglise dont je veux me tenir à distance? Une institution sclérosée, éloignée du message de son fondateur? Même si il y a des pages sombres dans l’histoire de l’Eglise, il n’en reste pas moins vrai que l’Eglise n’est pas un accident de l’histoire, mais la communauté voulue et fondée par le Christ, encore plus, c’est le corps mystique de Jésus-Christ. Aussi, pour celui que Jésus attire, l’appartenance à l’Eglise n’est pas une option personnelle facultative, mais quelque chose d’absolument nécessaire: « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28, 19-20).
Quelle Eglise? «Je pense, non, je suis sûr, que le futur de l’Église viendra de personnes profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement. Il ne viendra pas non plus de ceux qui empruntent la voie de la facilité, qui cherchent à échapper à la passion de la foi, considérant comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu exigeant, qui blesse, ou qui demande des sacrifices. Formulons cela de manière plus positive: le futur de l’Eglise, encore une fois, sera comme toujours remodelé par des saints, c’est-à-dire par des hommes dont les esprits cherchent à aller au-delà des simples slogans à la mode. cela signifie que les grands discours de ceux qui prônent une Eglise sans Dieu et sans foi ne sont que des bavardages vides de sens. Nous n’avons que faire d’une Eglise qui célèbre le culte de l’action dans des prières politiques. Tout ceci est complètement superflu. Cette Eglise ne tiendra pas. Ce qui restera, c’est l’Eglise du Christ, l’Eglise qui croit en un Dieu devenu Homme et qui nous promet la vie éternelle. De la crise actuelle émergera l’Eglise de demain, une Eglise qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Eglise sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. Pour moi, il est certain que l’Eglise va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu’il va rester à la fin: une Eglise, non du culte politique car celle-ci est déjà morte, mais une Eglise de la foi» (Interview du 25 décembre 1969 sur la radio Hessische Rundfunk. Texte complet dans : Joseph RATZINGER, Foi et Avenir, Mame 1971, pages 111 à 130.)