Aller au contenu

Année 2022-Homélie pour le 32ème dimanche du temps ordinaire (JGA).

Dieu n’est pas le Dieu des morts.

 

Une vie commune peut-elle finir dans le vide sans que soit démenti le sens même de la vie ici-bas qui est de préparer l’avènement du royaume, les cieux nouveaux et la terre nouvelle?
Selon cette vision, le mariage ne se termine pas avec la mort, mais il est transfiguré, spiritualisé.

 

 


En réponse à la question piège des sadducéens sur le sort de la femme qui a eu sept maris sur terre, Jésus réaffirme avant tout le fait de la résurrection, en corrigeant dans le même temps la représentation matérialiste et caricaturale qu’en font les sadducéens. La béatitude éternelle n’est pas un simple accroissement et un prolongement des joies terrestres, avec les plaisirs de la chair et de la table à satiété. L’autre vie est vraiment une autre vie, une vie de qualité différente. Elle est, certes l’accomplissement de toutes les attentes de l’homme sur la terre, et même infiniment plus, mais sur un autre plan. « Ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir: ils sont semblables aux anges».

Dans la partie finale de l’Evangile, Jésus explique la raison pour laquelle il doit y avoir une vie après la mort. « Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui ». Mais où est, dans cette phrase, la preuve que les morts ressuscitent? Si Dieu se définit « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » et est un Dieu des vivants et non des morts, cela signifie qu’Abraham, Isaac et Jacob vivent quelque part, même si, au moment où Dieu parle à Moïse, ceux-ci sont morts depuis des siècles.

Interprétant de manière erronée la réponse que Jésus donne aux sadducéens, certains ont affirmé que le mariage n’a aucune suite au ciel. Avec cette phrase Jésus rejette l’idée caricaturale que les sadducéens présentent de l’au-delà, comme s’il s’agissait d’un simple prolongement des relations terrestres entre les conjoints ; il n’exclut pas le fait que ceux-ci puissent retrouver, en Dieu, le lien qui les a unis sur la terre.
Est-il possible que deux époux, après une vie qui les a associés à Dieu dans le miracle de la création, n’aient plus rien en commun dans la vie éternelle, comme si tout avait été oublié, perdu? Cela ne serait-il pas en opposition avec la parole du Christ qui dit que l’on ne doit pas séparer ce que Dieu a uni? Si Dieu les a unis sur la terre, comment pourrait-il les séparer au ciel? Une vie commune peut-elle finir dans le vide sans que soit démenti le sens même de la vie ici-bas qui est de préparer l’avènement du royaume, les cieux nouveaux et la terre nouvelle?
L’Ecriture elle-même, et pas seulement le désir naturel des époux, confirme cette espérance. Le mariage, dit l’Ecriture, est « un grand sacrement » car il symbolise l’union entre le Christ et l’Eglise (Ep 5, 32). Est-il donc possible que cela soit annulé précisément dans la Jérusalem céleste, où l’on célèbre l’éternel banquet de noces entre le Christ et l’Eglise, dont le mariage est l’image ?
Selon cette vision, le mariage ne se termine pas avec la mort, mais il est transfiguré, spiritualisé. On lui enlève toutes les limites qui caractérisent la vie sur la terre. De la même manière, les liens entre parents et enfants ou entre amis ne tombent pas non plus dans l’oubli. Dans la préface de la messe des défunts, la liturgie dit qu’avec la mort « la vie est changée, elle n’est pas enlevée »; cela vaut également pour le mariage qui est partie intégrante de la vie.

Que dire à ceux pour qui le mariage terrestre a été une expérience négative, d’incompréhension et de souffrance? L’idée que le lien ne soit pas rompu même avec la mort n’est-elle pas pour eux davantage un motif de peur que de réconfort? Non, car avec le passage du temps à l’éternité le bien demeure, le mal tombe. L’amour qui les a unis, même s’il n’a duré que peu de temps, demeure ; les défauts, les incompréhensions, les souffrances qu’ils se sont infligées mutuellement, s’évanouissent. De très nombreux conjoints n’expérimenterons le véritable amour entre eux, et avec cet amour, la joie et la plénitude de l’union qu’ils n’ont pas connues sur la terre, que lorsqu’ils seront réunis « en Dieu». C’est aussi la conclusion de Goethe sur l’amour entre Faust et Marguerite : « Seul au ciel, l’inaccessible (c’est-à-dire l’union pleine et pacifique entre deux créatures qui s’aiment) deviendra réalité ». En Dieu on comprendra tout, on excusera tout, on pardonnera tout.

Et que dire de ceux qui ont été mariés, de manière légitime avec plusieurs personnes comme les veufs et les veuves remariés ? (Ce fut le cas présenté à Jésus, des sept frères qui avaient eu successivement la même femme pour épouse). Pour eux également, il convient de répéter la même chose: ce qu’il y a eu d’amour et de don authentiques avec chacun des maris et des femmes, cela étant objectivement un «bien» et venant de Dieu, ne sera pas annulé. Au ciel il n’y aura plus de rivalité en amour ou de jalousie. Ces choses n’appartiennent pas à l’amour vrai, mais à la limite intrinsèque de la créature.

Je voudrais terminer cette homélie, en rappelant que l’Eglise a vu dans ce passage de l’Evangile un des motifs qui justifient le choix du célibat religieux. En effet : le célibat consacré n’est pas mépris de la chair comme celui des cathares dans le sud de la France à partir de l’an Mille. Il n’est pas ascétique comme le célibat des ermites hindous ou des moines bouddhistes. Il n’est pas militant comme le célibat des révolutionnaires tout donnés à leur cause. Il n’est pas angoissé comme celui des certains jeunes modernes qui ne veulent pas d’enfants pour sauver la planète, ni individualiste comme celui des tous ceux qui renoncent à la paternité/maternité pour vivre leur vie. Le célibat consacré est une imitation plus parfaite de la vie de Notre Seigneur Jésus et un signe des biens célestes. Comme nous le rappelle l’encyclique « Sacerdotalis celibatus ».

«Notre Seigneur et Maître a déclaré « qu’à la résurrection, on ne prendra ni femme ni mari, mais que tous seront comme les anges de Dieu dans le Ciel  » (Mt 22,30). Au milieu du monde tellement engagé dans les tâches terrestres et si souvent dominé par les convoitises de la chair (cf. 1Jn 3,2), le don précieux et divin de la chasteté

parfaite en vue du royaume des cieux constitue précisément  un signe particulier des biens célestes ; il proclame la présence parmi nous des temps derniers de l’histoire du salut (cf. 1Co 7,29-31) et l’avènement d’un monde nouveau. Il anticipe en quelque sorte la consommation du royaume en en affirmant les valeurs suprêmes, qui resplendiront un jour en tous les fils de Dieu. Il constitue donc un témoignage de l’aspiration du Peuple de Dieu vers le but dernier de son pèlerinage terrestre, et une invitation pour tous à lever les yeux vers le ciel, là où le Christ siège à la droite de Dieu, là où notre vie est cachée en Dieu avec le Christ, jusqu’à ce qu’elle se manifeste dans la gloire (Col 3,1-4)» (Paul VI, Encyclique Sacerdotalis caelibatus n°34, 1967).

Voilà pourquoi le célibat évangélique est largement incompréhensible pour nos contemporains : ne croyant plus guère en l’au-delà, ils voient mal pourquoi se priver aujourd’hui au nom d’un hypothétique lendemain.

Faire défiler vers le haut