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Année 2022-Homélie pour le 23ème dimanche du temps ordinaire(JGA).

Haïr son père et sa mère ?
Ce serait une grossière erreur de penser que cet amour pour le Christ entre en concurrence avec les différents amours humains : pour les parents, le conjoint, les enfants et les frères et sœurs.

Source: Cardinal Raniero Cantalamesa, Homélie du 7 septembre 2007.

 


L’Evangile de ce dimanche est l’un de ceux que l’on aurait la tentation d’atténuer et d’adoucir comme un discours trop dur pour les oreilles des hommes d’aujourd’hui : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère… ». Précisons tout de suite une chose : l’Evangile est certes parfois provocateur, mais il n’est jamais contradictoire. Un peu plus loin, toujours dans l’Evangile de Luc, Jésus rappelle avec force le devoir d’honorer son père et sa mère (cf. Lc 18, 20) et, à propos des maris et de leurs femmes, il dit qu’ils doivent être une seul chair et que l’homme n’a pas le droit de séparer ce que Dieu a uni. Comment peut-il donc maintenant nous dire de «haïr » notre père, notre mère, notre femme, nos enfants et nos frères et sœurs ?
Il faut se souvenir d’une chose. Le comparatif de supériorité et d’infériorité n’existe pas en hébreu (aimer une chose plus qu’une autre) ; l’hébreu simplifie et réduit tout au fait d’aimer ou de haïr. La phrase : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère… », doit donc être comprise dans le sens : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père et à sa mère… ». Il suffit, pour le comprendre, de lire le même passage dans l’Evangile de Matthieu qui dit : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10. 37).

Y a-t-il une opposition entre l’amour du prochain et l’amour de Dieu ? Ce serait une grossière erreur de penser que cet amour pour le Christ entre en concurrence avec les différents amours humains : pour les parents, le conjoint, les enfants et les frères et sœurs. Le Christ n’est un « rival en amour » de personne et n’est jaloux de personne. Comment pourrait-il être jaloux de ce qu’il a fait lui-même ? Bien loin d’opposer ces deux amours, Jésus ne cesse de nous dire à quel point ils sont indissociables. Celui qui croit aimer Dieu sans mettre en pratique l’amour fraternel est dans l’illusion ! Et son commandement nouveau va un peu plus loin encore puisqu’il nous demande d’aimer nos frères les hommes comme lui-même, le Fils de Dieu, les a aimés.
L’amour pour le Christ n’exclut pas les autres amours mais les ordonne. Ce que Jésus veut nous rappeler ici, c’est qu’il y a une hiérarchie dans l’amour.  Dieu demande à être aimé par-dessus  tout. Jésus demande à être préféré aux êtres qui nous sont les plus proches. En fait, il y a une équivoque sur le terme d’amour et elle existait du temps de Jésus. Les hommes emploient ce terme pour désigner toutes sortes d’attirances qui relèvent davantage de l’amour de soi que de l’amour des autres ! Un amour de soi qui est, d’ailleurs, mal compris lorsqu’il détruit en nous la vie surnaturelle et entraîne les autres au péché. Par exemple des fiancés qui prétendent trop s’aimer pour être fidèles à la loi de Dieu. Quelqu’un qui prétend trop aimer une femme ou un homme déjà marié et qui le pousse au divorce. Une mère qui aime trop son enfant pour le laisser partir au séminaire. Un père ou une mère qui aiment trop leur fille pour la laisser mettre au monde un enfant non prévu. Des époux qui s’aiment trop pour s’aimer selon la loi de Dieu. On pourrait certainement trouver d’autres exemples où l’influence exercée par des proches fait obstacle à notre vocation chrétienne.

Jésus ne suscite d’illusions chez personne mais ne déçoit pas non plus; il demande tout parce qu’il veut tout donner ; en réalité, il a tout donné. On pourrait se demander : mais de quel droit cet homme, qui a vécu il y a vingt siècles dans un endroit inconnu du monde, demande-t-il à tous cet amour absolu ? Il n’est pas nécessaire de remonter bien loin pour trouver la réponse. Elle se trouve dans sa vie terrestre que nous connaissons grâce à l’histoire: il a lui, le premier, tout donné pour l’homme. « Il nous a aimés et s’est livré pour nous » (cf. Ep 5, 2).

Saint Basile nous dit que « l’intention de Notre-Seigneur dans les deux comparaisons précédentes (l’homme qui veut bâtir une tour et le roi qui part au combat)  est de montrer l’impossibilité de plaire à Dieu au milieu de toutes ces affections qui divisent l’âme et la mettent en péril, parce qu’elle est ainsi plus exposée à tomber dans les embûches et dans les pièges que lui tend le démon ».

Dans notre Evangile, Jésus nous rappelle également quel est le banc d’essai et le signe de l’amour authentique pour lui : «prendre sa croix sur soi ». Prendre sa croix ne signifie pas partir à la recherche de souffrances. Jésus n’est pas non plus allé chercher sa croix ; il l’a prise sur lui, en obéissance à la volonté du Père, celle que les hommes lui mettaient sur les épaules et par son amour obéissant il a fait de cet instrument de supplice un signe de rédemption et de gloire. Bède le Vénérable dit : «Il y a une différence entre renoncer à tout et abandonner tout ce qu’on possède. C’est le partage d’un petit nombre de quitter tout absolument, c’est-à-dire de sacrifier entièrement toutes les sollicitudes de ce monde; mais c’est une obligation pour tous les fidèles de renoncer à tout, c’est-à-dire d’user des choses du monde, sans en devenir jamais l’esclave dans le monde ».

Jésus n’est pas venu augmenter les croix humaines mais leur donner un sens. Il a été dit très justement que « qui cherche Jésus sans la croix trouvera la croix sans Jésus », c’est-à-dire qu’il trouvera également la croix mais sans la force pour la porter.

 

 

 

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