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Année 2022-Homélie pour le 1er dimanche de Carême (JGA).

Le combat spirituel : à l’école de Jésus.
Nous ne comprenons rien à cette vie. Nous mettons presque tous nos soins à veiller sur le bien-être et la conservation de notre corps, pareils à des fous qui s’imagineraient que tout leur bonheur dépend du bon état d’un costume. Notre civilisation semble édifiée tout entière autour de cette idée prodigieuse que si le corps est heureux, tout est bien.


La lutte contre les tentations est un véritable combat, exigeant et souvent douloureux qu’il nous faut accepter : n’oublions pas cette dimension militante de notre vie chrétienne, que le pape Benoît XVI présentait ainsi :

« Le Carême nous rappelle que l’existence chrétienne est une lutte sans relâche, au cours de laquelle sont utilisées les ‘armes’ de la prière, du jeûne et de la pénitence. Lutter contre le mal, contre toute forme d’égoïsme et de haine, et mourir à soi-même pour vivre en Dieu représente l’itinéraire ascétique que tout disciple de Jésus est appelé à parcourir avec humilité et patience, avec générosité et persévérance».

La victoire du Christ sur les tentations nous précède et nous accompagne : s’il a vaincu Satan lors de son séjour terrestre, c’est non seulement pour nous donner un exemple, mais surtout pour nous entraîner dans sa victoire. Par le baptême, nous sommes incorporés à son Royaume et pouvons trouver refuge sous ses ailes pour vaincre l’Adversaire. Il vient alors mener lui-même en nous ce combat contre le mal.
Comment laisser le Christ vaincre les tentations en nous, comment nous associer à sa victoire sur Satan ?
L’attitude de Jésus est très instructive : face à la tentation, c’est la confiance envers son Père qui remporte la victoire ; une confiance qui s’appuie sur la Parole de Dieu. Il nous faut donc connaître cette Parole, comme Jésus qui la citait par cœur, et l’adopter comme référence bien au-dessus de nos habituelles références humaines, si pauvres et réductrices. Elle est ce « glaive à deux tranchants » (Heb 4,12) qui détruit les desseins diaboliques.

Un maître spirituel du XVIème siècle, Lorenzo Scupoli (religieux italien théatin), a consacré au thème de la tentation un ouvrage célèbre intitulé Le Combat spirituel. Il y donne quatre conseils principaux :
– La méfiance à l’égard de soi-même qui s’obtient par la connaissance de notre propre faiblesse, l’habitude de ne pas nous fier à nos propres jugements et inclinations, la méditation des fautes et chutes passées.
– La confiance en Dieu, obtenue par la prière de demande et la méditation de l’omnipotence de Dieu et sa bonté infinie ;
– La prière sous ses diverses formes: oraison mentale (élévation de l’âme vers Dieu), méditation de la vie de Jésus et tout particulièrement de sa Passion, demande d’intercession de Marie, des anges et des saints, participation à l’Eucharistie, offrande de soi, examen de conscience.
– L’exercice de l’intelligence et de la volonté ; il suppose, pour l’intelligence, la lutte contre l’ignorance qui obscurcit la vérité et le rejet de la curiosité ; pour la volonté, le désir de toujours à plaire à Dieu et de livrer combat chaque jour contre ce qui lui déplaît : «Le matin de bonne heure, le soldat du Christ doit descendre sur le champ de bataille. A peine éveillé, la première chose que tes yeux intérieurs devront contempler sera ton âme enfermée dans une clôture avec cette loi : qui n’y combat pas y demeure mort pour toujours».

Les trois tentations de Jésus nous permettent de démasquer la dynamique de la séduction diabolique, et de suivre le Christ dans sa victoire contre « toutes les formes de tentation » (Lc 4,13). Nous allons les considérer l’une après l’autre.
La première tentative du démon pousse le Christ à se centrer sur son besoin physique de nourriture, et à utiliser sa « puissance divine » non pas pour sauver les hommes, mais pour sortir d’un inconfort humain. Il est évident que notre époque est très vulnérable à ce genre d’argument, puisque nos sociétés ne promeuvent que santé, bien-être, confort et richesse, au détriment de la dimension spirituelle de l’existence. L’écrivain Julien Green écrivait ainsi : « Nous ne comprenons rien à cette vie. Nous mettons presque tous nos soins à veiller sur le bien-être et la conservation de notre corps, pareils à des fous qui s’imagineraient que tout leur bonheur dépend du bon état d’un costume. Notre civilisation semble édifiée tout entière autour de cette idée prodigieuse que si le corps est heureux, tout est bien». Aujourd’hui, nous devons donc répéter fortement avec Jésus que «l’homme ne vit pas seulement de pain», pour ne pas tomber dans les pièges de Satan.
La deuxième tentation nous interroge sur l’objet de nos espérances, de nos attentes, de nos espoirs humains. Le désir insatiable de gloire et d’honneurs, de reconnaissance publique et de triomphes professionnels, n’est-il pas à l’œuvre dans nos efforts et nos décisions ? Sans nous en rendre compte, c’est parfois la voix de Satan que nous suivons lorsqu’il nous promet le succès. Voire même le succès des œuvres d’Eglise. Quelle est ma réaction face aux flatteries et aux compliments ou, à l’inverse, à l’indifférence et à la critique ? Considérons les deux perspectives qui s’ouvrent à nous : suivre les promesses de Satan et nous laisser tromper par lui, jusqu’à tomber dans le désespoir ; ou nous fier à l’aide du Seigneur, malgré tous les échecs et épreuves de notre vie, pour grandir dans l’espérance. Le Seigneur nous guide et ne nous demande qu’un abandon quotidien pour mettre en œuvre ses desseins avec une efficacité surprenante.
Avec la troisième tentation, le diable essaie de mettre Jésus à l’épreuve dans sa relation filiale à Dieu, son Père ; mais le Christ refuse de « mettre à l’épreuve le Seigneur » (Lc 4,12). Il cite alors le Deutéronome : « Vous ne mettrez pas le Seigneur votre Dieu à l’épreuve» (Dt 6,16). De même, Satan essaie souvent de fausser notre relation avec Dieu, il nous fait douter de son amour et nous pousse à nous comporter comme des salariés pouvant exiger leur paye, ou des fils prodigues qui ont le droit de s’éloigner avec l’héritage. Nous sommes parfois tentés, dans le concret de notre vie, de revendiquer notre part d’indépendance vis à vis de Dieu. C’est assez fréquent sur les questions d’argent où nous voulons rester les maîtres, ou sur les questions de morale personnelle lorsque l’enseignement chrétien peut nous sembler dépassé ; ou encore dans le domaine de la charité lorsque nous fermons notre cœur à certaines personnes en leur refusant par exemple le pardon.

Plutôt que d’élaborer de subtiles stratégies contre les tentations, nous pouvons ainsi suivre l’exemple de saint Paul : revenir à l’expression de notre foi et de notre piété filiale, par les gestes les plus simples, qui, peu à peu, nous construisent et nous fortifient intérieurement. Le Catéchisme nous offre une piste concrète, le signe de croix :
« Le chrétien commence sa journée, ses prières et ses actions par le signe de la croix, ‘au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen’. Le baptisé voue la journée à la gloire de Dieu et fait appel à la grâce du Sauveur qui lui permet d’agir dans l’Esprit comme enfant du Père. Le signe de la croix nous fortifie dans les tentations et dans les difficultés. »

Voyons ce moyen si simple à l’œuvre chez une sainte de chez nous, la petite Bernadette, avec laquelle nous concluons cette méditation: « Le signe de la croix de Bernadette se caractérisait par sa lenteur, son amplitude et le grand recueillement avec lequel elle l’effectuait. Devenue religieuse, Bernadette a été questionnée par l’une de ses sœurs : ‘Que faut-il faire pour être sûre d’aller au ciel?’. Bernadette a aussitôt répondu: ‘Bien faire le signe de la croix, c’est déjà beaucoup’. Quelques instants avant sa mort, Bernadette rassemble ses dernières forces et accomplit un ultime signe de la croix. Puis, aussitôt après, elle expire».

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