Année 2021-Homélie pour le 33ème dimanche du temps ordinaire (JGA).
La fin du monde.
A notre époque aussi la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient.
Dans l’Evangile de ce jour Jésus prononce un discours important sur la destruction de Jérusalem et sur la fin du monde, en invitant ses disciples à lire avec attention les signes des temps et à rester toujours vigilants.
En nous appuyant sur saint Ambroise dans son Traité sur l’Evangile de Luc, essayons de déchiffrer le sens des signes apocalyptiques mentionnés par Jésus. Le grand évêque de Milan commente d’abord « la terrible détresse » qui précède la fin. Il y voit les guerres, violences et épidémies et cite, pour son époque, les grandes invasions qui touchèrent l’Empire romain finissant et la peste récurrente. Saint Ambroise mentionne aussi les conflits internes à l’homme : « Or il y a d’autres guerres encore que soutient le chrétien, les combats des diverses convoitises, les conflits du désir; et les ennemis domestiques sont bien plus pénibles que ceux du dehors ».
Saint Ambroise voit, dans le premier signe de la fin (l’obscurcissement du soleil) un symbole de l’affaiblissement de la foi: « Comme en effet beaucoup abandonneront la religion, la clarté de la foi sera voilée par le nuage de l’incrédulité ».
Deuxième signe selon Ambroise, le scandale des membres de l’Eglise qui font écran à la lumière divine : « Et de même qu’en ses phases mensuelles la lune disparaît lorsque la terre s’interpose entre elle et le soleil, ainsi la sainte Eglise, lorsque les vices de la chair interceptent la lumière céleste, ne peut emprunter au rayonnement du Christ l’éclat de la divine lumière. »
Troisième signe : la chute de tant de personnes que nous considérons comme saintes, le scandale – c’est-à-dire l’occasion de chute – qu’elle provoque pour les petits, ceux dont la foi est peu assurée : « Les étoiles tomberont c’est-à-dire ces hommes (…) astres du monde, possédant la parole de vie (Ph 2,15 ss.). »
Quatrième signe : les puissances des cieux seront ébranlées. Ambroise y voit les vertus. A l’approche du Christ, elles seront ébranlées, c’est-à-dire à la fois mises à l’épreuve et renforcées chez les saints. Pensons aux grandes figures qui se sont levées dans des temps troublés pour l’Eglise et le monde : Catherine de Sienne, en pleine crise de la papauté ; François d’Assise, au sein d’une chrétienté devenue matérialiste, ou encore Marguerite-Marie et Claude La Colombière, en pleine crise janséniste. Enfin, évoquant la venue du Fils de l’homme sur les nuées, Ambroise y voit les esprits bienheureux : anges, archanges et saints ainsi que la Vierge Marie, qui accompagneront le Christ lors de sa venue.
Dans une série de sermons célèbres, le cardinal Newman, fin connaisseur de l’histoire, méditait sur l’Antéchrist, une figure mystérieuse mentionnée par les Lettres de Jean, censée précéder les derniers temps et incarner l’opposition totale au Christ sous des aspects trompeurs : « Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que l’Antéchrist doit venir ; et déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus : à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là. » (1 Jn 2,18).
L’Antéchrist est, pour Newman comme pour saint Jean, présent dans les différentes phases de l’histoire. Newman diagnostiquait pour son époque – le XIXe siècle – les signes de la présence de l’Antéchrist. Son analyse garde toute son actualité : « S’il est vrai que l’ennemi du Christ et de son Eglise doive surgir de quelque extraordinaire éloignement de Dieu, n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’en ces jours-mêmes une telle apostasie ne soit en train de se préparer, de prendre forme, de s’accélérer ? N’est-il pas vrai qu’en ce temps même se manifeste un formidable effort, pratiquement dans le monde entier, pour se passer de la religion ? N’est-il pas vrai que, dans tous les pays, se développe un mouvement puissant et concerté pour renverser l’Eglise du Christ de son pouvoir et de sa position ? N’est-il pas vrai que l’on assiste à des tentatives fébriles et incessantes pour se débarrasser de la nécessité de la religion dans les affaires publiques ? »
Newman en tire un appel à la vigilance pour nous tous, à ne pas se laisser berner par la stratégie diabolique. Sa description est
poignante : « Qu’il nous soit épargné d’être séduits par ces promesses flatteuses où Satan sait assurément cacher son poison. Il vous présente des appâts pour vous attirer. Il vous promet la liberté civile ; il vous promet l’égalité ; il vous promet le commerce et la prospérité ; il vous promet l’exemption des impôts ; il vous promet des réformes. Telle est sa façon de masquer la véritable entreprise à laquelle il vous attelle, il vous promet l’illumination – vous offrant le savoir, la science, la philosophie, le développement de vos facultés. Il vous pousse à monter toujours plus haut. Il vous montre comment devenir des dieux. Puis il rit et plaisante avec vous, gagne votre intimité ; il prend votre main, glisse ses doigts entre les vôtres, les referme, et là vous lui appartenez. Nous qui sommes chrétiens, nous fils de Dieu, frères du Christ et héritiers de la gloire, allons-nous consentir à avoir part ou héritage dans cette entreprise ? »
A la question des apôtres sur la fin du monde, Jésus répond non par une date mais par des signes. Ce monde aura une fin qui sera le triomphe de Dieu en son Fils, centre de l’histoire, mais avant tout cela, nous-mêmes, nos proches, nos sociétés et nos civilisations auront une fin et nous sommes appelés à y jouer un rôle décisif pour notre salut. Nous sommes donc appelés à lire les signes de notre propre temps : à notre époque aussi des catastrophes se produisent : guerres, violences, catastrophes, famines. Elles nous avertissent que tout passera et que nous devons nous préparer, et annoncer l’Evangile. Y sommes-nous attentifs ? Elles sollicitent aussi notre charité : nous laissons-nous toucher ? A notre époque aussi, et peut-être plus particulièrement, la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient. Les événements effrayants et déroutants du monde doivent nous mettre en alerte, mais non pas nous troubler : plus ils s’accumulent, plus le règne de Dieu est proche. Est-ce notre espérance qui prévaut lorsque les épreuves morales, familiales ou physiques nous assaillent ?
Il faut travailler comme si le monde devait durer toujours, tout en sachant que ça ne sera pas le cas. Cette formule apparemment contradictoire a toujours été la secrète consigne des esprits religieux au cours des grandes crises de l’histoire humaine, depuis la lettre de saint Paul aux Thessaloniciens, jusqu’à l’attitude pratique des croyants actuels. C’est l’attitude paradoxale de la foi. La foi assure au chrétien que ce cycle de la Création, aura une fin; que la fin sera précédée par une terrible agonie et suivie par une éblouissante reconstruction; ou, en termes proprement religieux, que «le Christ reviendra en mettant les pieds sur ses ennemis comme sur un escabeau pour prendre possession du royaume des Cieux transféré sur terre… ». Par un paradoxe dont le ressort niche au cœur de nos âmes, cette littérature pessimiste a été le principal soutien des bâtisseurs du christianisme; elle balaya les illusions et les espoirs superficiels au profit d’une espérance indestructible qui se manifesta dans un optimisme concret et positif. Lorsque les immenses vicissitudes du drame de l’Histoire – qui dépassent l’homme et son rationalisme mesquin – atteignent un point excédant son pouvoir de réaction et même sa capacité de compréhension – comme c’est le cas de nos jours – seul le croyant possède le talisman qui lui permet de rester serein et de poursuivre sa tâche. Comme le dit le poète : «Celui seul qui n’attend rien peut se dire optimiste Celui seul qui donne tout ne craint plus aucun vol» (Leonardo Castellani, Le Verbe dans le Sang).
Nous pouvons, pour terminer, dire cette prière à saint Michel, composée par Léon XIII : « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon. Que Dieu exerce sur lui son empire, nous vous le demandons en suppliant. Et vous, Prince de la Milice Céleste, repoussez en enfer, par la force divine, Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde en vue de perdre les âmes».
Ainsi soit-il.
Publié le 14 novembre 2021
Année 2021-Homélie pour le 33ème dimanche du temps ordinaire (JGA).
La fin du monde.
A notre époque aussi la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient.
Dans l’Evangile de ce jour Jésus prononce un discours important sur la destruction de Jérusalem et sur la fin du monde, en invitant ses disciples à lire avec attention les signes des temps et à rester toujours vigilants.
En nous appuyant sur saint Ambroise dans son Traité sur l’Evangile de Luc, essayons de déchiffrer le sens des signes apocalyptiques mentionnés par Jésus. Le grand évêque de Milan commente d’abord « la terrible détresse » qui précède la fin. Il y voit les guerres, violences et épidémies et cite, pour son époque, les grandes invasions qui touchèrent l’Empire romain finissant et la peste récurrente. Saint Ambroise mentionne aussi les conflits internes à l’homme : « Or il y a d’autres guerres encore que soutient le chrétien, les combats des diverses convoitises, les conflits du désir; et les ennemis domestiques sont bien plus pénibles que ceux du dehors ».
Saint Ambroise voit, dans le premier signe de la fin (l’obscurcissement du soleil) un symbole de l’affaiblissement de la foi: « Comme en effet beaucoup abandonneront la religion, la clarté de la foi sera voilée par le nuage de l’incrédulité ».
Deuxième signe selon Ambroise, le scandale des membres de l’Eglise qui font écran à la lumière divine : « Et de même qu’en ses phases mensuelles la lune disparaît lorsque la terre s’interpose entre elle et le soleil, ainsi la sainte Eglise, lorsque les vices de la chair interceptent la lumière céleste, ne peut emprunter au rayonnement du Christ l’éclat de la divine lumière. »
Troisième signe : la chute de tant de personnes que nous considérons comme saintes, le scandale – c’est-à-dire l’occasion de chute – qu’elle provoque pour les petits, ceux dont la foi est peu assurée : « Les étoiles tomberont c’est-à-dire ces hommes (…) astres du monde, possédant la parole de vie (Ph 2,15 ss.). »
Quatrième signe : les puissances des cieux seront ébranlées. Ambroise y voit les vertus. A l’approche du Christ, elles seront ébranlées, c’est-à-dire à la fois mises à l’épreuve et renforcées chez les saints. Pensons aux grandes figures qui se sont levées dans des temps troublés pour l’Eglise et le monde : Catherine de Sienne, en pleine crise de la papauté ; François d’Assise, au sein d’une chrétienté devenue matérialiste, ou encore Marguerite-Marie et Claude La Colombière, en pleine crise janséniste. Enfin, évoquant la venue du Fils de l’homme sur les nuées, Ambroise y voit les esprits bienheureux : anges, archanges et saints ainsi que la Vierge Marie, qui accompagneront le Christ lors de sa venue.
Dans une série de sermons célèbres, le cardinal Newman, fin connaisseur de l’histoire, méditait sur l’Antéchrist, une figure mystérieuse mentionnée par les Lettres de Jean, censée précéder les derniers temps et incarner l’opposition totale au Christ sous des aspects trompeurs : « Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que l’Antéchrist doit venir ; et déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus : à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là. » (1 Jn 2,18).
L’Antéchrist est, pour Newman comme pour saint Jean, présent dans les différentes phases de l’histoire. Newman diagnostiquait pour son époque – le XIXe siècle – les signes de la présence de l’Antéchrist. Son analyse garde toute son actualité : « S’il est vrai que l’ennemi du Christ et de son Eglise doive surgir de quelque extraordinaire éloignement de Dieu, n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’en ces jours-mêmes une telle apostasie ne soit en train de se préparer, de prendre forme, de s’accélérer ? N’est-il pas vrai qu’en ce temps même se manifeste un formidable effort, pratiquement dans le monde entier, pour se passer de la religion ? N’est-il pas vrai que, dans tous les pays, se développe un mouvement puissant et concerté pour renverser l’Eglise du Christ de son pouvoir et de sa position ? N’est-il pas vrai que l’on assiste à des tentatives fébriles et incessantes pour se débarrasser de la nécessité de la religion dans les affaires publiques ? »
Newman en tire un appel à la vigilance pour nous tous, à ne pas se laisser berner par la stratégie diabolique. Sa description est
poignante : « Qu’il nous soit épargné d’être séduits par ces promesses flatteuses où Satan sait assurément cacher son poison. Il vous présente des appâts pour vous attirer. Il vous promet la liberté civile ; il vous promet l’égalité ; il vous promet le commerce et la prospérité ; il vous promet l’exemption des impôts ; il vous promet des réformes. Telle est sa façon de masquer la véritable entreprise à laquelle il vous attelle, il vous promet l’illumination – vous offrant le savoir, la science, la philosophie, le développement de vos facultés. Il vous pousse à monter toujours plus haut. Il vous montre comment devenir des dieux. Puis il rit et plaisante avec vous, gagne votre intimité ; il prend votre main, glisse ses doigts entre les vôtres, les referme, et là vous lui appartenez. Nous qui sommes chrétiens, nous fils de Dieu, frères du Christ et héritiers de la gloire, allons-nous consentir à avoir part ou héritage dans cette entreprise ? »
A la question des apôtres sur la fin du monde, Jésus répond non par une date mais par des signes. Ce monde aura une fin qui sera le triomphe de Dieu en son Fils, centre de l’histoire, mais avant tout cela, nous-mêmes, nos proches, nos sociétés et nos civilisations auront une fin et nous sommes appelés à y jouer un rôle décisif pour notre salut. Nous sommes donc appelés à lire les signes de notre propre temps : à notre époque aussi des catastrophes se produisent : guerres, violences, catastrophes, famines. Elles nous avertissent que tout passera et que nous devons nous préparer, et annoncer l’Evangile. Y sommes-nous attentifs ? Elles sollicitent aussi notre charité : nous laissons-nous toucher ? A notre époque aussi, et peut-être plus particulièrement, la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient. Les événements effrayants et déroutants du monde doivent nous mettre en alerte, mais non pas nous troubler : plus ils s’accumulent, plus le règne de Dieu est proche. Est-ce notre espérance qui prévaut lorsque les épreuves morales, familiales ou physiques nous assaillent ?
Il faut travailler comme si le monde devait durer toujours, tout en sachant que ça ne sera pas le cas. Cette formule apparemment contradictoire a toujours été la secrète consigne des esprits religieux au cours des grandes crises de l’histoire humaine, depuis la lettre de saint Paul aux Thessaloniciens, jusqu’à l’attitude pratique des croyants actuels. C’est l’attitude paradoxale de la foi. La foi assure au chrétien que ce cycle de la Création, aura une fin; que la fin sera précédée par une terrible agonie et suivie par une éblouissante reconstruction; ou, en termes proprement religieux, que «le Christ reviendra en mettant les pieds sur ses ennemis comme sur un escabeau pour prendre possession du royaume des Cieux transféré sur terre… ». Par un paradoxe dont le ressort niche au cœur de nos âmes, cette littérature pessimiste a été le principal soutien des bâtisseurs du christianisme; elle balaya les illusions et les espoirs superficiels au profit d’une espérance indestructible qui se manifesta dans un optimisme concret et positif. Lorsque les immenses vicissitudes du drame de l’Histoire – qui dépassent l’homme et son rationalisme mesquin – atteignent un point excédant son pouvoir de réaction et même sa capacité de compréhension – comme c’est le cas de nos jours – seul le croyant possède le talisman qui lui permet de rester serein et de poursuivre sa tâche. Comme le dit le poète : «Celui seul qui n’attend rien peut se dire optimiste Celui seul qui donne tout ne craint plus aucun vol» (Leonardo Castellani, Le Verbe dans le Sang).
Nous pouvons, pour terminer, dire cette prière à saint Michel, composée par Léon XIII : « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon. Que Dieu exerce sur lui son empire, nous vous le demandons en suppliant. Et vous, Prince de la Milice Céleste, repoussez en enfer, par la force divine, Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde en vue de perdre les âmes».
Ainsi soit-il.
Publié le 14 novembre 2021
Année 2021-Homélie pour le 33ème dimanche du temps ordinaire (JGA).
La fin du monde.
A notre époque aussi la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient.
Dans l’Evangile de ce jour Jésus prononce un discours important sur la destruction de Jérusalem et sur la fin du monde, en invitant ses disciples à lire avec attention les signes des temps et à rester toujours vigilants.
En nous appuyant sur saint Ambroise dans son Traité sur l’Evangile de Luc, essayons de déchiffrer le sens des signes apocalyptiques mentionnés par Jésus. Le grand évêque de Milan commente d’abord « la terrible détresse » qui précède la fin. Il y voit les guerres, violences et épidémies et cite, pour son époque, les grandes invasions qui touchèrent l’Empire romain finissant et la peste récurrente. Saint Ambroise mentionne aussi les conflits internes à l’homme : « Or il y a d’autres guerres encore que soutient le chrétien, les combats des diverses convoitises, les conflits du désir; et les ennemis domestiques sont bien plus pénibles que ceux du dehors ».
Saint Ambroise voit, dans le premier signe de la fin (l’obscurcissement du soleil) un symbole de l’affaiblissement de la foi: « Comme en effet beaucoup abandonneront la religion, la clarté de la foi sera voilée par le nuage de l’incrédulité ».
Deuxième signe selon Ambroise, le scandale des membres de l’Eglise qui font écran à la lumière divine : « Et de même qu’en ses phases mensuelles la lune disparaît lorsque la terre s’interpose entre elle et le soleil, ainsi la sainte Eglise, lorsque les vices de la chair interceptent la lumière céleste, ne peut emprunter au rayonnement du Christ l’éclat de la divine lumière. »
Troisième signe : la chute de tant de personnes que nous considérons comme saintes, le scandale – c’est-à-dire l’occasion de chute – qu’elle provoque pour les petits, ceux dont la foi est peu assurée : « Les étoiles tomberont c’est-à-dire ces hommes (…) astres du monde, possédant la parole de vie (Ph 2,15 ss.). »
Quatrième signe : les puissances des cieux seront ébranlées. Ambroise y voit les vertus. A l’approche du Christ, elles seront ébranlées, c’est-à-dire à la fois mises à l’épreuve et renforcées chez les saints. Pensons aux grandes figures qui se sont levées dans des temps troublés pour l’Eglise et le monde : Catherine de Sienne, en pleine crise de la papauté ; François d’Assise, au sein d’une chrétienté devenue matérialiste, ou encore Marguerite-Marie et Claude La Colombière, en pleine crise janséniste. Enfin, évoquant la venue du Fils de l’homme sur les nuées, Ambroise y voit les esprits bienheureux : anges, archanges et saints ainsi que la Vierge Marie, qui accompagneront le Christ lors de sa venue.
Dans une série de sermons célèbres, le cardinal Newman, fin connaisseur de l’histoire, méditait sur l’Antéchrist, une figure mystérieuse mentionnée par les Lettres de Jean, censée précéder les derniers temps et incarner l’opposition totale au Christ sous des aspects trompeurs : « Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que l’Antéchrist doit venir ; et déjà maintenant beaucoup d’antéchrists sont survenus : à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là. » (1 Jn 2,18).
L’Antéchrist est, pour Newman comme pour saint Jean, présent dans les différentes phases de l’histoire. Newman diagnostiquait pour son époque – le XIXe siècle – les signes de la présence de l’Antéchrist. Son analyse garde toute son actualité : « S’il est vrai que l’ennemi du Christ et de son Eglise doive surgir de quelque extraordinaire éloignement de Dieu, n’y a-t-il pas lieu de craindre qu’en ces jours-mêmes une telle apostasie ne soit en train de se préparer, de prendre forme, de s’accélérer ? N’est-il pas vrai qu’en ce temps même se manifeste un formidable effort, pratiquement dans le monde entier, pour se passer de la religion ? N’est-il pas vrai que, dans tous les pays, se développe un mouvement puissant et concerté pour renverser l’Eglise du Christ de son pouvoir et de sa position ? N’est-il pas vrai que l’on assiste à des tentatives fébriles et incessantes pour se débarrasser de la nécessité de la religion dans les affaires publiques ? »
Newman en tire un appel à la vigilance pour nous tous, à ne pas se laisser berner par la stratégie diabolique. Sa description est
poignante : « Qu’il nous soit épargné d’être séduits par ces promesses flatteuses où Satan sait assurément cacher son poison. Il vous présente des appâts pour vous attirer. Il vous promet la liberté civile ; il vous promet l’égalité ; il vous promet le commerce et la prospérité ; il vous promet l’exemption des impôts ; il vous promet des réformes. Telle est sa façon de masquer la véritable entreprise à laquelle il vous attelle, il vous promet l’illumination – vous offrant le savoir, la science, la philosophie, le développement de vos facultés. Il vous pousse à monter toujours plus haut. Il vous montre comment devenir des dieux. Puis il rit et plaisante avec vous, gagne votre intimité ; il prend votre main, glisse ses doigts entre les vôtres, les referme, et là vous lui appartenez. Nous qui sommes chrétiens, nous fils de Dieu, frères du Christ et héritiers de la gloire, allons-nous consentir à avoir part ou héritage dans cette entreprise ? »
A la question des apôtres sur la fin du monde, Jésus répond non par une date mais par des signes. Ce monde aura une fin qui sera le triomphe de Dieu en son Fils, centre de l’histoire, mais avant tout cela, nous-mêmes, nos proches, nos sociétés et nos civilisations auront une fin et nous sommes appelés à y jouer un rôle décisif pour notre salut. Nous sommes donc appelés à lire les signes de notre propre temps : à notre époque aussi des catastrophes se produisent : guerres, violences, catastrophes, famines. Elles nous avertissent que tout passera et que nous devons nous préparer, et annoncer l’Evangile. Y sommes-nous attentifs ? Elles sollicitent aussi notre charité : nous laissons-nous toucher ? A notre époque aussi, et peut-être plus particulièrement, la foi s’affaiblit, les scandales se succèdent, des maîtres humains déçoivent ou désertent. La charité se refroidit. Nous laissons-nous détourner, décourager ou effrayer ? Le Seigneur nous invite précisément à la réaction inverse : rester fermes dans l’assurance du salut qui vient. Les événements effrayants et déroutants du monde doivent nous mettre en alerte, mais non pas nous troubler : plus ils s’accumulent, plus le règne de Dieu est proche. Est-ce notre espérance qui prévaut lorsque les épreuves morales, familiales ou physiques nous assaillent ?
Il faut travailler comme si le monde devait durer toujours, tout en sachant que ça ne sera pas le cas. Cette formule apparemment contradictoire a toujours été la secrète consigne des esprits religieux au cours des grandes crises de l’histoire humaine, depuis la lettre de saint Paul aux Thessaloniciens, jusqu’à l’attitude pratique des croyants actuels. C’est l’attitude paradoxale de la foi. La foi assure au chrétien que ce cycle de la Création, aura une fin; que la fin sera précédée par une terrible agonie et suivie par une éblouissante reconstruction; ou, en termes proprement religieux, que «le Christ reviendra en mettant les pieds sur ses ennemis comme sur un escabeau pour prendre possession du royaume des Cieux transféré sur terre… ». Par un paradoxe dont le ressort niche au cœur de nos âmes, cette littérature pessimiste a été le principal soutien des bâtisseurs du christianisme; elle balaya les illusions et les espoirs superficiels au profit d’une espérance indestructible qui se manifesta dans un optimisme concret et positif. Lorsque les immenses vicissitudes du drame de l’Histoire – qui dépassent l’homme et son rationalisme mesquin – atteignent un point excédant son pouvoir de réaction et même sa capacité de compréhension – comme c’est le cas de nos jours – seul le croyant possède le talisman qui lui permet de rester serein et de poursuivre sa tâche. Comme le dit le poète : «Celui seul qui n’attend rien peut se dire optimiste Celui seul qui donne tout ne craint plus aucun vol» (Leonardo Castellani, Le Verbe dans le Sang).
Nous pouvons, pour terminer, dire cette prière à saint Michel, composée par Léon XIII : « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon. Que Dieu exerce sur lui son empire, nous vous le demandons en suppliant. Et vous, Prince de la Milice Céleste, repoussez en enfer, par la force divine, Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde en vue de perdre les âmes».
Ainsi soit-il.
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Publié le 14 novembre 2021