La réconciliation est complètement obtenue par la correction, il n’est pas question de chercher à obtenir une réparation mais plutôt de rétablir des rapports fraternels d’union et d’entente.
La liturgie de ce jour nous offre un enseignement sur la vie communautaire, plus précisément sur la correction fraternelle; pratique très charitable qui éviterait de très grands maux au niveau communautaire, tels que la médisance, la diffamation, des péchés qui constituent souvent le début de conflits, de séparations au sein d’une famille, d’une équipe, d’une communauté.
L’Evangile nous parle de la relation que nous devons entretenir avec un frère qui a commis une faute contre nous. Ce thème demeure très actuel car la vie de nos communautés est souvent marquée par des tensions internes.« Si ton frère, dit Jésus, a commis un péché contre toi, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute ». La personne qui agit est donc celle qui a été offensée par un frère, par un autre membre de la communauté.
Dans une telle situation, plusieurs attitudes sont possibles. La première est la vengeance: trouver un moyen de se venger de son frère. Mais cette solution est totalement exclue par Jésus. Il serait aussi possible de se taire, de subir l’offense sans réagir. Mais cette attitude n’est pas prise en compte par le récit évangélique.
Saint Augustin (sermon 16 sur les paroles du Seigneur) nous dit à ce sujet : « Notre-Seigneur nous recommande de ne pas rester indifférents aux péchés les uns des autres, en cherchant non pas précisément à reprendre, mais à corriger ; car c’est l’amour qui doit inspirer la correction, et non pas le désir de faire de la peine. Mais si vous négligez ce devoir, vous devenez plus coupable que celui qui avait besoin de correction ; il vous avait offensé, et il s’était par là même profondément blessé [lui-même : celui qui fait une offense est aussi blessé en lui-même] ; mais vous méprisez cette blessure de votre frère, et vous êtes plus coupable par votre silence qu’il ne l’est par l’outrage qu’il vous a fait ».
La charité nous fait sortir de nous-mêmes pour aller guérir notre frère.
La première lecture nous dit qu’il n’est pas permis de se taire mais qu’il faut avoir le courage de parler pour ne pas laisser mourir notre prochain (notre frère) dans le péché (cf. Ez 33,7-9). Un autre passage de l’Ancien Testament recommande : « Tu n’auras aucune pensée de haine contre ton frère, mais tu n’hésiteras pas à réprimander ton compagnon, et ainsi tu ne partageras pas son péché » (Lv 19,17).
Jésus dit substantiellement la même chose mais il ajoute la manière charitable de le faire : « Va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute ». Afin de ne pas offenser publiquement le frère et par charité fraternelle, il faut chercher la réconciliation dans la discrétion. Il continue ensuite : « S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ». La réconciliation est complètement obtenue par la correction, il n’est pas question de chercher à obtenir une réparation mais plutôt de rétablir des rapports fraternels d’union et d’entente. C’est ainsi que le frère est gagné, lui qui pourrait autrement être perdu s’il demeurait dans le péché.
La condition pour être charitable dans la correction est d’avoir pardonné d’abord la faute commise par notre frère.
« Il faut vous rappeler, dit Saint Jérôme, que si votre frère a péché contre vous, et vous a offensé de quelque manière que ce soit, non seulement vous avez le pouvoir, mais vous êtes dans l’obligation de lui pardonner (première chose très importante !) ; car il nous est commandé de remettre leurs dettes à ceux qui nous doivent : pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».
Et ici saint Jérôme nous fait noter une faiblesse de notre nature devant laquelle il faut rester très attentifs afin de la corriger : « Si ton frère a péché contre Dieu (cf. 1 R 2, 25), il n’est pas en notre pouvoir de lui pardonner ; mais nous, au contraire, nous sommes pleins d’indulgence pour les offenses commises contre Dieu, et remplis d’animosité pour venger celles qui s’adressent à nous ».
Ensuite Jésus considère aussi le cas dans lequel le frère n’accepte pas l’admonestation et ne reconnait pas sa faute. Jésus propose alors une autre étape qui demeure très discrète: « S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins ». Nous admirons ici la discrétion de Jésus. Souvent, lorsque nous sommes offensés, plutôt que d’aller parler directement à la personne qui nous a offensé, nous nous répandons auprès d’autres personnes pour accuser le coupable, pour en dire du mal et chercher à en diminuer l’estime. Contre ceci, Jésus recommande de parler directement à celui qui a offensé et, devant son refus, de lui parler en présence d’une ou deux personnes qui pourront appuyer notre tentative de réconciliation.
C’est seulement lorsque cette seconde tentative échoue que Jésus recommande de recourir à l’assemblée chrétienne : « S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Eglise ». Il faut espérer que par la pression exercée par l’assemblée, le pécheur reconnaisse sa faute et renonce à persévérer dans le péché. « S’il refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain ». C’est l’ultime solution possible des tentatives de réconciliation, une solution très triste mais qui tient compte d’un élément factuel indubitable : il n’y a plus aucun rapport fraternel et il n’est plus possible d’entretenir une relation.
« Ne le comptez plus dès lors au nombre de vos frères, commente saint Augustin ; cependant ne négligez pas son salut ; car si nous ne regardons pas comme nos frères les étrangers, c’est-à-dire les Gentils et les païens, nous ne laissons pas de chercher à les sauver ». Et les saints nous instruisent sur ce point-là : prière et pénitence ; pénitence et prière pour les pécheurs.
Demandons au Seigneur la grâce de la charité : que cherchions en tout et par tout le bien, le salut de nos frères.
Ainsi soit-il.