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Année 2023-Homélie pour le 30ème dimanche du temps ordinaire (JGA).

Les vertus oubliées.
La parrhésie.
La parrhésie dans la Grèce antique, c’est la liberté intérieure de dire la vérité et même le courage et la grandeur d’âme de ne pas l’éviter même face à quelque obstacle, c’est aussi le climat de sincérité qui doit régner dans la véritable amitié.
Pour le chrétien la parrhésie représente un état d’excellence, de seigneurie et de liberté. La parrhésie est un don de Dieu qui nous est donné par le baptême. La parrhésie a une double facette: par rapport à Dieu et par rapport aux hommes.

 


Le livre des Actes raconte que les apôtres, après la Pentecôte, prêchaient la parole de Dieu avec parrhésie, dans sa forme francisée (2, 29, 4, 29, 31, etc.). Le mot vient du grec παρρησία. Il est généralement traduit par liberté, courage, audace, bravoure et, dans d’autres contextes, par sincérité, amitié, familiarité, confiance, etc. Aucun d’eux n’exprime pleinement son sens. Quelle est alors sa signification originelle et précise ?
Dans l’Antiquité grecque, il avait une connotation principalement liée à la morale politique. C’était le droit de s’exprimer librement dans les assemblées. Dans la vie morale individuelle la parrhésie signifiait la franchise, celle propre aux amis : « Envers les amis et les frères la parrhésie doit régner, on doit tout partager avec eux », dira Aristote. Et il ajoute une note sublime : le propre du « magnanime » est d’être parrhésique et véridique : « Comme il prête plus d’attention à la vérité qu’à l’opinion, il parle et agit avec parrhésie face au monde entier ». La parrhésie dans la Grèce antique, c’est donc la liberté intérieure de dire la vérité et même le courage et la grandeur d’âme de ne pas l’éviter même face à quelque obstacle, c’est aussi le climat de sincérité qui doit régner dans la véritable amitié.

Nous, chrétiens, n’hésitons pas à affirmer que Notre Seigneur Jésus-Christ possède une véritable et éminente parrhésie. Après que Pierre ait confessé la divinité de Jésus à Césarée, Notre Seigneur fait la première annonce de sa Passion, et l’évangéliste saint Matthieu note : « Il en parlait avec parrhésie» (Mt 8, 32). Dans l’Evangile selon saint Jean Jésus dit : « J’ai parlé avec parrhésie devant tout le monde et je n’ai rien dit en secret » (18, 20). Tout seul, il expulse tous les marchands du temple à l’aide d’un fouet. Il affronte les pharisiens et il les traite d’hypocrites, de fils du diable, de meurtriers, de serpents, de race de vipères, de tombeaux blanchis. Il ne cède pas aux moqueries d’Hérode. Il témoigne devant Pilate. Il est totalement maître de lui-même dans les souffrances de la Passion. Il parle toujours avec autorité et en toute liberté. Rien ne l’arrête ni ne l’intimide. Le Christ est alors le modèle et la source de toute parrhésie.

La parrhésie représente un état d’excellence, de seigneurie et de liberté du chrétien. La parrhésie est un don de Dieu qui nous est donné par le baptême. La parrhésie a une double facette: par rapport à Dieu et par rapport aux hommes.
Pour le chrétien, citoyen libre du Royaume de Dieu, fils et ami de Dieu, la parrhésie est avant tout liée à Dieu. On peut l’apprendre dans ces magnifiques expressions de saint Paul: Le Christ « nous a fait sortir du domaine des ténèbres et nous a transférés au Royaume du Fils de son amour » (Col 1, 13); c’est pourquoi « vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage mais des concitoyens des saints et des membres de la famille de Dieu » (Ep 2, 19). La parrhésie est donc cette attitude de confiance et d’abandon total en Dieu qui naît du fait de savoir que nous sommes des enfants bien-aimés de Dieu. « S’étant détachée de tout élément étranger, c’est-à-dire de tout péché, et s’étant dépouillée de toute honte de ses fautes, l’âme retrouve la liberté et la parrhésie », écrit saint Grégoire de Nysse. Etat de royauté et de liberté souveraine. Don de Dieu mais aussi une conquête, la fin d’un itinéraire. C’est le résultat d’un ascétisme et d’une purification, d’une croissance, d’une restauration de l’image et de la ressemblance de Dieu dans l’homme. C’est la liberté intérieure de celui qui a vaincu « l’homme charnel » et dominé les passions par la vertu.

Les Pères de l’Eglise parlent de deux effets qui apparaissent dans l’âme avec l’ascension spirituelle: « l’apatheia » et la « parrhésie »: la première est la pacification des passions, la seconde est la familiarité avec Dieu et la liberté des enfants de Dieu. Surtout dans le martyr, qui se présente avec son propre sang, comme le témoignait saint Justin au IIe siècle lors des interrogatoires: « Notre désir le plus ardent est de souffrir par amour de notre Seigneur Jésus-Christ pour nous sauver, car cette souffrance deviendra un motif pour nous de salut et de parrhésie devant le tribunal formidable et universel de notre Seigneur et Sauveur ».
Cette pénétration et assimilation des mystères divins, cette restauration en nous de «l’image et de la ressemblance » de Dieu, cette domination sur les passions (« apatheia »), donne une lumière nouvelle sur les choses et une seigneurie sur le monde : « Ils règneront sur la terre » dit l’Apocalypse (5, 10).
C’est le deuxième aspect de la parrhésie: son rapport aux hommes. La parrhésie crée le besoin intérieur de témoigner des choses de Dieu: « Nous ne pouvons pas garder le silence sur ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20), répondent les Apôtres lorsque les Pharisiens veulent les empêcher de prêcher. Le livre des Actes la met en rapport surtout à la prédication, à la force et à l’efficacité de la Parole. C’est ce que demandait saint Paul : « Priez pour moi pour que, lorsque je parle, des paroles soient mises dans ma bouche pour annoncer avec parrhésie le mystère de l’Evangile, afin que j’y trouve la force de l’annoncer avec parrhésie» (Eph. 6, 19).  Il y a encore un autre aspect: le courage. Le diable, le monde et la chair s’opposent à l’Evangile et mettent des obstacles à la prédication. Il est difficile de vivre et de parler à contre-courant. Il est difficile de corriger un ami comme un inconnu. La tentation de chercher à « plaire » aux hommes est toujours présente. Maîtriser soi-même et les menaces, dangers, obstacles et tentations du monde, même au prix de sa propre vie, afin qu’ils ne diminuent pas la vérité divine, voilà ce qui est typique de la parrhésie. La parrhésie nous rend capables du martyre, un mot qui signifie précisément ces deux facettes: c’est un témoignage du Christ d’une part et c’est une force jusqu’à la mort par amour de la Vérité, par amour de Dieu.

Au milieu des épreuves les plus dures, saint Paul disait aux chrétiens : « Ne perdez pas votre parrhésie qui apporte une grande récompense » (Heb 10, 35). Les Actes des Apôtres nous font connaître les paroles du premier discours de saint Pierre : « Frères, permettez-moi de vous le dire avec parrhésie… » (Actes 2, 29) et nous raconte que lors des interrogatoires du Sanhédrin, tout le monde était étonné de « la parrhésie de Pierre et de Jean » (4, 13). Face aux persécutions, l’Eglise primitive unie aux Apôtres demande la parrhésie : « Et maintenant, Seigneur, tiens compte de leurs menaces et accorde à tes serviteurs de prêcher la Parole avec parrhésie.. » (4, 29). Après la prière, ils étaient remplis du Saint-Esprit « et prêchaient la parole de Dieu avec parrhésie» (4, 31). Barnabé raconte aux Apôtres que saint Paul avait « prêché avec parrhésie à Damas » (9, 27) ; et tous deux ensemble à Antioche face à la persécution des Juifs « parlaient avec parrhésie » (Actes 13, 46). La même attitude devant le roi Agrippa : « Le roi sait bien ces choses, devant qui je parle avec parrhésie » (26, 26) et le livre des Actes conclut en faisant référence à Saint Paul : « Il prêcha le Royaume de Dieu et il enseignait avec parrhésie ce qui concernait le Seigneur Jésus-Christ » (28, 31).

Les anciens Pères de l’Eglise la mettaient en rapport tout particulièrement au détachement de toutes choses. Celui qui a renoncé à ses biens « agit avec grande parrhésie devant les grands… Il parle avec parrhésie sans craindre ni trembler devant personne ». L’évêque martyr saint Polycarpe répondit ainsi au proconsul romain qui l’interrogeait : « Pourquoi me forcez-vous à jurer par César? Ne connaissez-vous peut-être pas ma religion? Avec parrhésie je vous dis : je suis chrétien ». Liberté d’esprit face aux grands de ce monde, comme celle de Mère Teresa de Calcutta demandant au président Clinton les enfants qu’il voulait tuer pour la loi de l’avortement. La parrhésie permet alors le triomphe du chrétien contre le monde et le diable.

Dans la Bible, nous trouvons également les magnifiques exemples de saint Elie et de saint Jean-Baptiste. Saint Elie dont la parole « brûlait comme un flambeau » (Sir 48, 1) fait face aux menaces d’un royaume infidèle à Dieu. Etant le seul prophète fidèle à Dieu en Israël, lui seul affronte les plus de 400 faux prophètes du démon Baal et les vainc. Saint Jean-Baptiste, qui « exulta de joie » dans le sein de sa mère (Lc 1, 45), condamna avec courage l’adultère d’Hérode (Mt 14, 3-5) et, par sa prédication audacieuse, « prépara les voies du Seigneur » (Luc 1, 76).

La parrhésie est donc une vertu propre au vrai chrétien, au vrai disciple de Jésus-Christ, qui ne cherche pas la louange du monde mais plutôt sa conversion. En effet, sa mission n’est pas seulement de devenir intime avec Dieu et de savourer ses mystères mais aussi de s’occuper des hommes et de les arracher au monde et au diable. Il doit donc prêcher uniquement le Christ et non lui-même. Il ne doit pas se conduire selon ses passions désordonnées, qu’elles soient la sympathie, l’antipathie, le découragement ou la colère. Il ne s’agit pas d’utiliser la vérité comme une arme pour frapper mais pour convaincre et convertir. Il ne s’agit pas de décharger un cœur aigri, triste ou agressif mais plutôt de remplir ceux qui nous écoutent d’enthousiasme pour le Royaume des Cieux. Il ne s’agit pas non plus de garder le silence ou de diminuer la vérité, ni de conclure des compromis pour éviter le mécontentement ou par respect humain. C’est la capacité d’être audacieux, c’est le témoignage serein, lucide et courageux, en œuvres et en paroles, capable de déraciner le péché et de sauver. Ce n’est pas facile. C’est le feu du Saint-Esprit capable d’embraser le monde. C’est la lumière divine qui brille et s’étend sans obstacles, comme le Christ ressuscité, surmontant toutes les barrières humaines.

N’ayons pas peur! Ne jouons pas avec la Vérité! En ces temps où ceux qui dirigent réellement le monde sont extrêmement prudents lorsqu’ils orientent la pensée du troupeau mondial: des mots, des phrases, des gestes et des concepts qui, tôt ou tard, finissent par conditionner notre façon de penser. Souvenez vous: s’ils contrôlent ce que vous dites, ils contrôlent ce que vous pensez. Il n’y a pas « d’interruption volontaire de la grossesse », il y a un avortement, un meurtre d’un enfant sans défense dans le sein de sa mère; il n’y a pas « une nouvelle opportunité de reconstruire ma vie », il y a l’infidélité, l’abandon de la parole donnée le jour du mariage, l’irresponsabilité et le concubinage; il n’y a pas de « connaissance préalable à l’engagement définitif », il y a l’impureté, il y a la fornication; il n’y a pas « d’éducation sexuelle des enfants », il y a une perversion des enfants de la part de l’Etat et des enseignants; il n’y a pas de « respect de toutes les opinions », il y a de la lâcheté pour dire qu’il y a la vérité et le mensonge, le beau et le laid, le bon et le mauvais; il n’y a pas de « mort digne », il y a l’euthanasie, l’homicide des faibles, des personnes âgées et des malades; il n’y a pas « la gestation par autrui », il y a la vente des enfants et la réduction de l’être humain à marchandise;  il n’y a pas « beaucoup de religions qui mènent à un seul dieu », il y a le relativisme religieux et l’offense maximale envers Jésus-Christ qui a dit: « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, personne ne va vers le Père sans passer par moi ». N’ayons pas peur! Ne jouons pas avec la Vérité!

Demandons à Dieu de daigner nous accorder le privilège divin de vivre plus qu’une vie normale ou quotidienne, une vie épique. Que Dieu nous remplisse de parrhésie et fasse de nous des prophètes en ces temps d’apostasie. Contre l’hypocrisie, la parrhésie!

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