La gratuité et la gratitude.
Voici que Celui qui est le bonheur infini nous apprend le secret du bonheur: se donner gratuitement par amour. Chaque page de l’Evangile est rempli de cette gratuité de Dieu.
Le don gratuit du bienfaiteur exige chez le bénéficiaire une rétribution. Cette rétribution c’est l’action de grâce.
Nous parlerons aujourd’hui des vertus de « gratuité » et de « gratitude ».
La gratuité, nous la contemplons réalisée d’une manière éminente en Dieu. Chaque acte de Dieu est gratuit: il nous a créés par pur amour, Il nous a fait à son image et ressemblance et une fois tombés, dans le pire des malheurs, celui du péché, Il nous a récréés d’une façon encore plus gratuite et admirable. La création c’était déjà un énorme cadeau, mais la rédemption l’est encore plus (le mot grâce vient de gratuit, un don offert gratuitement). Nous pouvons encore ajouter à cela: l’effusion du Saint-Esprit qui vient nous confirmer dans la vérité reçue de Jésus; les sacrements qui font actuelle pour nous la rédemption; la sainte messe, la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie, Il est là que pour nous; le pardon des péchés… tout cela complétement gratuit, poussé seulement par son amour infini!
Saint Paul, dans les Actes des Apôtres, rapporte que Jésus avait dit: « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35). Voici que Celui qui est le bonheur infini nous apprend le secret du bonheur: se donner gratuitement par amour. Chaque page de l’Evangile est rempli de cette gratuité de Dieu.
Mais à cette gratuité il faut répondre par la vertu de gratitude. La reconnaissance ou gratitude répond à la générosité du bienfaiteur. Le don gratuit du bienfaiteur exige chez le bénéficiaire une rétribution. Une obligation d’honneur est engendrée. Cette rétribution c’est l’action de grâce.
Saint Thomas d’Aquin ( Somme de Théologie, II-II, 106-107) donne quelques caractéristiques de l’action de grâce et de la vertu de gratitude :
Dans le cas du pénitent (celui qui est pardonné par Dieu): il est tenu de rendre grâce plus que l’innocent, parce que le don que Dieu lui fait est plus gratuit; car, alors qu’il méritait un châtiment, c’est la grâce qui lui est donnée.
Saint Paul nous dit (1 Th 5, 18): « En toutes circonstances, rendez grâce ».
Certains bienfaits, provenant des hommes, nous sont accordés de mauvaise grâce et même d’une façon insultante, avec retard et tristesse. Doit-on dans ce cas rendre grâce? Si quelqu’un nous a accordé un bienfait d’une façon choquante, nous ne devons pas nous abstenir totalement de remercier, mais nous le ferons moins que si le don avait été fait avec grâce, car le bienfait lui-même en est diminué.
Et si le bienfaiteur a changé pour une vie mauvaise? On doit cependant lui manifester de la reconnaissance selon l’état où il se trouve: par exemple en le ramenant à la vertu si c’est possible. Mais si son mal est incurable (s’il refuse de se convertir), alors il est devenu « un autre homme » et on ne lui doit plus de reconnaissance pour son bienfait. Cependant autant qu’on le peut honnêtement, on doit garder le souvenir du bienfait.
Dans la reconnaissance, comme dans le bienfait, il y a deux choses à considérer: le sentiment et le don. La reconnaissance doit trouver son expression immédiate dans le premier (le sentiment): «Veux tu rendre un bienfait? Reçois-le [déjà] de bon cœur ».
Quant au don, il faut attendre le moment où la reconnaissance sera la bienvenue. Une reconnaissance, qui prétend payer sa dette tout de suite et même à contretemps, n’est pas vertueuse. Celui à qui pèse une dette de reconnaissance est un ingrat; il se presse en effet afin de se débarrasser du poids de la dette et non pas par amitié (l’amitié est patiente, elle sait attendre le bon moment). Les bienfaits eux-mêmes doivent être donnés en temps opportun. Et quand ce temps est venu, il ne faut plus différer. De même pour la reconnaissance.
La gratitude regarde dans le bienfait reçu la volonté du bienfaiteur. Celui qui reçoit un don gratuit contracte ainsi une dette d’honneur qu’il doit acquitter en faisant à son tour un don gratuit. Et de cette manière s’accomplie la Parole de Dieu qui dit : « N’ayez aucune dette, sinon celle de l’amour mutuel » (Rom 13, 8). Et comme la charité tend toujours à grandir, de même la gratitude.
La gratitude a des degrés divers : le premier est que l’homme reconnaisse le bienfait reçu ; le deuxième, qu’il en rende grâce ; le troisième qu’il le rétribue, compte tenu des circonstances et selon ses possibilités.
De façon similaire, l’ingratitude (péché opposé à la gratitude) possède aussi trois degrés : le premier c’est l’absence de récompense ; le deuxième, c’est le silence qui cache le bienfait reçu ; et le troisième, le plus grave, c’est qu’on le méconnaisse, par oubli ou de toute autre façon.
A ces trois degrés négatifs de l’ingratitude se rattachent encore trois formes positives d’ingratitude: rendre le mal pour le bien; décrier (critiquer) le bienfait; estimer le bienfait comme un méfait (un maléfice, une malfaisance).
Envers Dieu: dans tout péché il y a une ingratitude matérielle envers Dieu, en tant que l’on fait quelque chose qui peut se rattacher à l’ingratitude. Mais il y a ingratitude formelle quand un bienfait est effectivement méprisé.
Il est dit dans l’Evangile selon saint Luc (10, 35) : « Le Très-Haut est bon pour les ingrats et les mauvais ». Et il est dit au même endroit que nous devons nous montrer ses enfants en imitant sa bonté. Nous ne devons donc pas cesser de faire du bien mêmes aux ingrats.
Se donner gratuitement et remercier de tout cœur cela relève de la charité véritable, celle que Jésus nous apprend.