La Toussaint est la fête du Ciel.
Le Ciel, c’est d’être plongé dans l’abîme de la Trinité pour toujours, sans fin. Il se reçoit, bien plus qu’il se conquiert.
La Toussaint est la fête du Ciel. Le ciel s’entrouvre, il se penche sur la terre. Et pour qui sait voir et entendre dans la foi, la lecture de l’Apocalypse de ce jour nous découvre une compagnie formidable.
Les élus dans le ciel entourent « l’Agneau comme immolé », victorieux. Il est le flambeau de la Jérusalem céleste, figure de l’Église en son achèvement et son dernier état. Dans sa lumière, on voit la lumière de Dieu.
Des enfants, innocents martyrs, jouent avec leurs palmes devant son trône. Des vieillards et des anges se prosternent dans une liturgie d’adoration et de louange qui ne s’éteint pas. Et une foule que nul ne peut dénombrer entoure le Christ roi et glorieux. Le chiffre de 144.000 désigne non une quantité, mais la perfection, l’achèvement du nombre mystérieux des saints dans le ciel, qui marque le terme de l’histoire.
Cette cohorte voit, elle aime, elle se réjouit, elle chante sans fin.
Qu’est-ce que le Ciel ? Ce mot de la foi désigne une réalité, un lieu, un acte.
Le Ciel que nous scrutons et explorons nous parle d’un autre lieu, élevé non plus en mètres mais en excellence. Un lieu non plus visible mais invisible. Un lieu où Dieu laisse voir sa gloire. Non plus de dos, comme à Moïse. Non plus dans un clair-obscur, en miroir, partiellement, comme pour nous, dans la foi. Mais face à face, dans la pleine lumière de gloire, totalement. Le Ciel, c’est d’être plongé dans l’abîme de la Trinité pour toujours, sans fin. Ipsi Deum videbunt – Ils verront Dieu.
Que fait-on au Ciel?
Commençons peut-être par ce qu’on ne fait plus. Il n’y a plus de souffrance, d’ennui, de larmes, de mort, de mal physique ou moral, ces choses de l’état présent, ces inévitables compagnons de voyage. Il n’y a plus de mal moral. L’aversion, ou séparation de Dieu, la conversion, ou attache désordonnée aux créatures, ont pris fin. Finies aussi la nécessaire pénitence et les larmes du cœur aimant, mais fragile, et qui a failli. Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. Il n’y a plus de distractions, de choses qui peuvent divertir, détourner de la bonté infinie.
On voit, et cette vision de la bonté divine infinie, ce regard très simple sur la simplicité de Dieu, cette convergence de toutes les perfections divines provoque l’amour, emporte et fixe l’âme en Dieu comme fer à l’aimant. Si cette vision nous arrivait sur terre, nous ne pourrions plus dévier de Dieu par le péché. Mais attendons encore un peu, car c’est maintenant le temps de l’amour d’épreuve, et de la connaissance de foi.
On voit, et on aime. Un amour de qualité divine que rien ne peut plus interrompre et diminuer. Un sommet de liberté et de charité.
On aime, et on se réjouit. Etat normal de l’âme lorsqu’elle possède un bien. Les plus hautes joies spirituelles, les plus grandes consolations qui ont fait vibrer et craquer notre cœur d’homme exigu sont des reflets, des avant goûts de cela.
Et parce qu’on se réjouit, alors on chante. Le cantique éternel de louange, d’adoration, d’action de grâce ne s’éteint pas au ciel. Le Sanctus de la Messe en est comme l’intonation et le prélude. Le chant exprime et cause la joie. Et parce que la joie vient de l’éternelle possession de Dieu, alors le chant ne s’éteint plus. Ament, et cantabunt. Qu’ils aiment, et ils chanteront.
Le Ciel, c’est quand?
Dans notre projection humaine, c’est «après». Nous avons fait nos petites cases bien étanches. Pourtant c’est «déjà» le Ciel, en commencement. Comme la chenille et la chrysalide sont déjà le papillon. L’union à Dieu est commencée par la grâce du baptême, et avec elle le désir de Dieu. Desiderium caritatis, soif et faim spirituelle que Dieu seul a allumé et peut apaiser. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés.
Déjà, et pas encore. Parce que chaque instant de cette terre vécue dans l’amitié divine, dans la grâce de Dieu, doit creuser le désir de l’Ami, et de la rencontre ultime. A cause des paroles de vos lèvres, Seigneur, je garde ces voies difficiles, celle des béatitudes et des commandements. Et je cours en cette voie où votre charité dilate et agrandit mon cœur.
Pourquoi le Ciel, enfin?
Par pure bonté divine. Car si tout homme désire d’être heureux, ce bonheur-là est hors de sa portée. Il se reçoit, bien plus qu’il se conquiert. Notre plus grande misère d’homme, n’est-ce pas de rayer le paradis de nos horizons de vie ? Alors nous errons comme des fils prodigues, cherchant le bonheur dans des paradis artificiels. Rentiers blasés et tièdes, nous vivons hors de ce que nous sommes ; des êtres de béatitude.
Alors regardons, pour garder courage, pour rester dans le vrai, cette cohorte de béatifiés. Regardons-les bien. Fréquentons-les. « L’heure des saints vient toujours. Notre Eglise est l’église des saints. Ils vécurent, ils souffrirent comme nous. Ils furent tentés comme nous. Ils eurent leur pleine charge et plus d’un, sans la lâcher, se coucha dessous pour mourir. Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure? Nous en savons assez pour devenir des saints (George Bernanos, Jeanne relapse et sainte)».