La parabole des dix vierges
Veille par le cœur, veille par la foi, veille par l’espérance, veille par la charité, veille par les bonnes œuvres; si corporellement tu t’endors, comme le veut la nature, bientôt sonnera le réveil. A ce réveil prépare ta lampe : qu’alors elle soit brillante, entretenue par l’huile d’une bonne conscience : alors l’Epoux céleste te prendra dans un embrassement immortel, il t’introduira dans sa demeure où tu ne dormiras plus, où jamais ta lampe ne pourra s’éteindre.
Source : Père Emmanuel, Itinéraire 245, 1980.
« Le royaume des cieux est semblable à dix vierges, qui, ayant préparé leurs lampes, sortent pour aller au devant de l’épouse et de l’époux. »
Le royaume des cieux, c’est l’Eglise, elle vient des cieux ; et un jour elle sera tout entière transportée dans les cieux. L’Eglise est étrangère ici-bas ; elle traverse ce monde, elle n’en est pas. Les dix vierges sont, dit saint Augustin, les âmes de tous les chrétiens. Il ne faut pas restreindre la comparaison à celles-là seulement qui font profession de virginité ; il ne faut pas non plus l’étendre à tous les hommes. Elle s’applique à tous les chrétiens. On peut voir dans le nombre dix une allusion aux dix commandements de Dieu, dans l’observation desquels se résume la vie chrétienne prise en son sens le plus large.
Comment les chrétiens peuvent-ils revendiquer le beau privilège d’être des vierges ?
C’est qu’il y a une virginité qui leur convient à tous, à savoir l’intégrité de la foi et l’abstention des plaisirs illicites. Ici citons saint Augustin : « peu sont appelés à garder la virginité dans leur corps ; tous doivent l’avoir dans leur cœur ». Celui qui se renferme dans le fidèle accomplissement du mariage et de ses devoirs de famille selon la volonté de Dieu, celui-là est vierge dans son cœur. Les dix vierges tiennent dans leurs mains des lampes : ces lampes, dit saint Augustin, désignent les bonnes œuvres. La bonne vie est comme une lampe éclatante, qui, brillant dans les mains des chrétiens, indique à tous les hommes le droit chemin, et les porte à glorifier le Père céleste. Les dix vierges sortent pour aller au-devant de l’épouse et de l’époux. Cette sortie suppose en elles le désir de faire leur salut ; cette sortie s’effectue par la foi et l’espérance. En résumé, elles sont vierges, elles s’abstiennent des plaisirs défendus ; elles ont tout l’extérieur de la vie chrétienne, dont elles observent les commandements et suivent les pratiques ; elles ont la foi et l’espérance.
Ici se pose une question formidable : pourquoi parmi elles cinq sages et cinq folles ? Pourquoi cinq sont-elles admises aux noces, et cinq repoussées des noces ?
Nous posons la question avec saint Augustin, il nous en donnera la solution. «Les cinq folles, en prenant leurs lampes, ne prirent pas d’huile avec elles. Les cinq sages prirent de l’huile dans des vases avec leurs lampes. » C’est la provision d’huile qui fait entre elles la différence. Les vierges sages ont cette provision : les vierges folles ne l’ont pas. Que signifie cette huile ? Quelque chose de grand, dit saint Augustin ; et ce quelque chose de grand, c’est la charité. La charité, sans laquelle rien ne sert pour le salut, même la foi, même l’espérance ; la charité, qui nous fait agir pour Dieu seul, par l’unique et souverain désir de lui plaire ; la charité, qui fait qu’on ne s’enfle pas de ses bonnes œuvres, et que pour les avoir fidèlement accomplies on ne se préfère pas au prochain. Cette charité, sceau des élus, gage de l’éternelle vie, les vierges sages l’ont, les vierges folles ne l’ont pas. Extérieurement toutes ces vierges se présentent de même ; c’est dans l’intérieur du cœur, dans le fond de la conscience, que se trouve la différence entre elles. Car les vases dans lesquels l’huile est renfermée, c’est le cœur, c’est la conscience.
Remarquons-le, toutes leurs lampes brillent ; mais les sages ont avec elles de quoi entretenir cette lumière, les folles n’ont pas de quoi l’entretenir. Ici prêtons l’oreille à la très sagace observation de saint Augustin.
Les vierges sages agissent pour Dieu, dans la pure intention de lui plaire; il y a là un motif supérieur qui ne saurait leur manquer.
Les vierges folles au contraire agissent pour le monde, dans l’intention de s’attirer des louanges. Ces louanges sont comme une huile empruntée, qui communique à leurs lampes un certain éclat : mais que ces louanges leur fassent défaut, aussitôt leurs lampes s’éteignent. En un mot, tandis que l’éclat des lampes des premières vierges est assuré, la lumière de leurs lampes à elles est factice et temporaire. Malheureuses vierges folles ! se priver des plaisirs défendus ; s’assujettir au joug de la vie chrétienne, avoir la foi, avoir l’espérance ; et puis compromettre son salut en recherchant les louanges et l’approbation du monde ! Les vierges folles, ayant un extérieur compassé de vie chrétienne par lequel elles cherchent à s’attirer la faveur et l’applaudissement du monde, sont, en somme, des hypocrites. Combien un tel spectacle ne doit-il pas nous stimuler à fuir la vanité, et à nous conduire en toutes choses par le pur désir de plaire à Dieu seul !
« L’Epoux vient et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée ». Ah ! dit saint Grégoire le Grand sur ce passage, s’il nous était donné de sentir, par un goût intérieur, tout ce qu’il y a d’admiration en cette parole : « l’Epoux vient ! » Et de douceur en cette autre : «Elles entrèrent avec lui aux noces ! »
Elles étaient prêtes, les vierges sages ; leurs lampes rayonnaient de l’huile d’une bonne conscience, même au soleil de l’éternelle justice. Elles entrent, quelle sécurité ! Avec lui, quelle société ! Aux noces, quelles délices ! Et derrière Lui, derrière elles, la porte est fermée, irrévocablement. Ceux qui ont laissé passer le moment d’y entrer resteront dehors, à tout jamais ! Quelle amertume ! Quelle confusion ! Quel désespoir !
Notre-Seigneur conclut la parabole des dix vierges par ces mots : «Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »
Les vierges sages avaient pris leurs précautions ; les vierges folles ont été surprises. Remplissons sans tarder les conditions requises pour être sauvés : sans tarder, disons-nous, car nous ne savons ni le jour ni l’heure à laquelle nous serons appelés au redoutable tribunal de Dieu.
Que faut-il pour être vraiment prêts ? S’abstenir des plaisirs coupables du monde ? C’est déjà un point, mais cela ne suffit pas. Mener une vie extérieurement chrétienne ? Cela ne suffit pas encore. Il faut de plus avoir une intention droite et pure de plaire à Dieu en toutes ses œuvres ; intention qui est une huile sainte et indéfectible, intention qui rend les œuvres lumineuses aux yeux de Dieu, intention qui provient d’une vraie Charité. Ecoutons l’apôtre exaltant la nécessité de la Charité : « Que j’aie une foi à transporter les montagnes, que je distribue tout mon bien aux pauvres, que je livre mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. »
Terminons par l’entraînante conclusion de saint Augustin : « L’heure viendra : quand viendra-t-elle ? Nous l’ignorons. Ce sera au milieu de la nuit : Veillons, « veillez », conclut l’Evangile, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » « Puisqu’il nous faut nous endormir, comment veiller? Veille par le cœur, veille par la foi, veille par l’espérance, veille par la charité, veille par les bonnes œuvres ; si corporellement tu t’endors, comme le veut la nature, bientôt sonnera le réveil. A ce réveil prépare ta lampe : qu’alors elle soit brillante, entretenue par l’huile d’une bonne conscience : alors l’Epoux céleste te prendra dans un embrassement immortel, il t’introduira dans sa demeure où tu ne dormiras plus, où jamais ta lampe ne pourra s’éteindre. Et maintenant, mes frères, nous sommes dans les labeurs, nos lampes vacillent sous les vents du siècle et parmi les tentations : que leur flamme brûle avec tant de force, que le vent de la tentation, bien loin de les éteindre, ajoute encore à leur ardente clarté».
Source :
- Emmanuel, Itineraires 245, juillet 1980.