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2021-Homélie pour le 1er dimanche de Carême (JGA).



Le désert.

Reviens, reviens au cœur, détache-toi du corps… Rentre dans le cœur : là examine ce que tu perçois peut-être de Dieu, parce que là se trouve l’image de Dieu; dans l’intériorité de l’homme habite le Christ.

Source : Cardinal Raniero Cantalamesse,   Au désert avec Jésus.


Le Carême commence tous les ans par le récit de Jésus qui se retire dans le désert pendant quarante jours. Jésus obéissant à une impulsion de l’Esprit Saint se retire dans le désert où il reste quarante jours. Le désert en question est le désert de Judée qui s’étend des murs de Jérusalem jusqu’à Jéricho, dans la vallée du Jourdain. La tradition fixe ce lieu au Mont de la Quarantaine en face de la vallée du Jourdain.

Au cours de l’histoire, des colonnes d’hommes et de femmes ont choisi d’imiter ce Jésus qui se retire dans le désert. En Orient, à commencer par saint Antoine, ils se retiraient dans les déserts d’Egypte ou de Palestine; en Occident, où il n’existait pas de désert de sable, ils se retiraient dans des lieux solitaires, des montagnes et des vallées reculées. Mais l’invitation à suivre Jésus au désert ne s’adresse pas seulement aux moines et aux ermites. Sous une forme différente, celle-ci s’adresse à tous. Moines et ermites ont choisi un coin de désert, nous nous devons choisir au moins un moment de désert.

Le carême est l’occasion que l’Eglise offre à tous, sans distinction, pour vivre un moment de désert sans devoir pour autant abandonner les activités quotidiennes. Saint Augustin ( sermon sur l’Evangile de Jean) a lancé ce vibrant appel: « Revenez à votre cœur! Où voulez-vous aller loin de vous? Rentrez de votre vagabondage qui vous a fait quitter la route; revenez vers le Seigneur. Lui Il est prêt. D’abord reviens à ton cœur, toi qui est devenu étranger à toi-même, à force de vagabonder dehors: tu ne te connais pas toi-même, et cherche celui qui t’a créé ! Reviens, reviens au cœur, détache-toi du corps… Rentre dans le cœur : là examine ce que tu perçois peut-être de Dieu, parce que là se trouve l’image de Dieu; dans l’intériorité de l’homme habite le Christ ».

Revenir à son cœur ! Mais que représente le cœur, dont on parle si souvent dans la Bible et dans le langage humain? En dehors du domaine de la physiologie humaine, où celui-ci n’est qu’un organe quoique vital de notre corps, le cœur c’est l’intime de chaque homme, là où chacun vit sa condition d’être humain, c’est-à-dire sa vie intérieure, par rapport à Dieu. Dans le langage commun aussi, le cœur désigne la partie essentielle d’une réalité. « Aller au cœur d’un problème » veut dire aller à sa partie essentielle, dont dépend l’explication de toutes les autres parties du problème. Le cœur d’une personne indique aussi l’endroit spirituel, là où il est possible de contempler la personne dans sa réalité la plus profonde et la plus vraie, sans voiles, et sans s’arrêter à ses aspects marginaux. C’est sur le cœur que le jugement dernier de toute personne a lieu, sur ce qu’elle porte en elle et qui est source de sa bonté ou de sa méchanceté. Connaître le cœur d’une personne veut dire avoir pénétré le sanctuaire intime de sa personnalité et ainsi connaître cette personne pour ce qu’elle est et sa vraie valeur.

Revenir au cœur signifie donc revenir à ce qu’il y a de plus personnel et d’intérieur en nous. Or, l’intériorité est malheureusement une valeur en crise. Enfermés en dehors de chez soi, incapables de revenir. Prisonniers de l’extériorité! Que de personnes parmi nous devraient faire sienne l’amère constatation de saint Augustin ( Confessions, X, 27 ) à propos de sa propre vie avant sa conversion : « Bien tard, je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard, je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors, et c’est là que je te cherchais. Et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais! Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant, si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas ».

Ce que l’on fait à l’extérieur est exposé au danger presqu’inévitable de l’hypocrisie. Le regard d’autres personnes a le pouvoir de faire dévier notre attention. L’action perd son authenticité et sa récompense. Le « paraître » prend le dessus sur l’« être ». C’est pourquoi Jésus invite à jeûner et à faire l’aumône en cachette, à prier le Père « en secret » (cf. Mt 6, 1-4).

Dans un discours aux supérieurs d’un ordre de religieux contemplatifs, Paul VI a dit :
« Aujourd’hui nous sommes dans un monde qui semble aux prises avec une fièvre qui s’infiltre jusque dans le sanctuaire et dans la solitude. Bruit et vacarme ont pratiquement envahi toute chose. Les personnes n’arrivent plus à se recueillir. En proie à mille distractions, celles-ci dissipent généralement leurs énergies derrière les différentes formes de la culture moderne. Journaux, revues, livres envahissent l’intimité de nos maisons et de nos cœurs. Il est plus difficile qu’autrefois de trouver l’occasion pour ce recueillement dans lequel l’âme parvient à être pleinement occupée en Dieu ».

Mais essayons de voir comment faire, concrètement, pour retrouver et conserver cette habitude de l’intériorité. Moïse était un homme très actif. Mais on lit qu’il s’était fait construire une tente portable et qu’à chaque étape de son exode il la fixait à l’extérieur du campement, y entrant régulièrement pour consulter le Seigneur. Là le Seigneur parlait avec Moïse « face à face, comme on parle d’homme à homme » (Ex. 33, 11).

Mais on ne peut pas non plus faire cela tout le temps. Se retirer dans une chapelle ou dans un lieu solitaire pour retrouver le contact avec Dieu n’est pas toujours possible. Saint François d’Assise suggère donc un autre moyen plus à portée de main. En envoyant ses frères sur les routes de monde, il disait: Nous avons un ermitage toujours avec nous, partout où nous allons et à chaque fois que nous le voulons nous pouvons, comme ermites, retourner à l’intérieur de cet ermitage. « Frère le corps est l’ermitage et l’âme l’ermite qui l’habite pour prier Dieu et méditer ». C’est comme avoir un désert toujours « à l’intérieur de chez  soi », où se retirer par la pensée à chaque moment, voire en marchant dans la rue.

Concluons en écoutant, comme si elle s’adressait à nous, l’exhortation que saint Anselme d’Aoste adresse au lecteur dans son Proslogion : « Ô homme ! Plein de misère et de faiblesse, sors un moment de tes occupations, loin du tumulte de tes pensées. Éloigne de ton esprit tes laborieuses préoccupations. Cherche Dieu un moment. Entre dans le sanctuaire de ton âme, exclus tout, à l’exception de Dieu et de ce qui t’aide à le chercher, et, à porte fermée, dit à Dieu: Je cherche ton visage. C’est ton visage que je cherche, Seigneur ».

Pourquoi Jésus, après son baptême, s’est-il rendu dans le désert? Pour être tenté par Satan? Est-il allé au désert pour jeûner? Ce ne sont pas les motifs essentiels. Il y alla pour prier! Quand Jésus se retirait dans des lieux déserts c’était toujours pour prier son Père, pour être en intimité avec son Père. Et c’est aussi le but principal de notre carême. On ne va pas dans le désert uniquement pour quitter quelque chose, le vacarme, le monde, les occupations; on y va surtout pour trouver quelque chose, ou plutôt Quelqu’un. On n’y va pas seulement pour se retrouver, pour entrer en contact avec son « moi » profond, comme dans tant de formes de méditations non chrétiennes. Le croyant va dans le désert, descend dans son cœur, pour reprendre contact avec Dieu. C’est le secret du bonheur et de la paix en cette vie. Parlant de son peuple comme d’une épouse, Dieu dit: « Je vais l’entraîner au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Os 2, 16).  Jésus nous attend au désert: ne le laissons pas seul pendant tout ce temps.

Ainsi soit-il.

 

 

 

 

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