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Homélie pour le 2ème dimanche de Carême 2018 (JA)

L’envie et la colère.

Que le Seigneur nous donne la grâce en ce Carême de livrer le bon combat contre tout ce qui menace la gloire de Dieu et le bien éternel de notre âme.

Synthèse à partir du « Précis de théologie ascétique et mystique » de l’abbé Adolphe TANQUEREY.


En ce deuxième dimanche de carême, nous poursuivons l’étude des péchés capitaux, afin de mieux les connaître et de les vaincre, en examinant les vices de l’envie et de la colère.

L’Envie.

Quelle est sa nature ?

L’envie est une tendance à s’attrister du bien d’autrui comme d’une atteinte portée à notre supériorité. C’est une sorte de tristesse profonde et d’angoisse qu’on éprouve à la vue du bien que l’on remarque chez les autres. Souvent elle est accompagnée du désir de voir le prochain privé du bien qui nous offusque. Ce vice vient donc de l’orgueil, qui ne peut supporter de supérieurs ni de rivaux. Ce défaut se manifeste par la peine que l’on éprouve en entendant louer les autres ; alors on s’efforce d’atténuer ces éloges en critiquant ceux que les autres louent.

Souvent on confond l’envie et la jalousie ; quand on les distingue, on définit celle-ci comme l’amour excessif de son propre bien accompagné de la crainte qu’il ne nous soit enlevé par d’autres. En un mot on est envieux du bien d’autrui et jaloux de son propre bien.

Il faut distinguer aussi l’envie de l’émulation: celle-ci est un sentiment louable, qui nous porte à imiter, à égaler et, si c’est possible, à surpasser les qualités des autres, mais par des moyens loyaux.

Quelle est la malice de l’envie?

En soi, l’envie est par sa nature un péché mortel, parce qu’elle est directement opposée à la vertu de charité qui veut qu’on se réjouisse du bien des autres. Plus le bien qu’on envie est important, plus le péché est grave. Ceci est vrai lorsque ces mouvements d’envie sont pleinement consentis ; mais souvent ce ne sont que des impressions ou des sentiments irréfléchis ou du moins peu réfléchis et peu volontaires : dans ce dernier cas, la faute n’est que vénielle.

Dans ses effets, l’envie est parfois très coupable.

Elle excite des sentiments de haine : on est exposé à haïr ceux qu’on envie ou qu’on jalouse et, par suite, à mal parler d’eux, à les dénigrer, à les calomnier, à leur vouloir du mal.

Elle tend à semer des divisions.

Elle pousse à la poursuite immodérée des richesses et des honneurs afin de surpasser ceux que l’on envie et parfois par des moyens peu loyaux.

Elle trouble l’âme de l’envieux : on n’a ni paix ni repos tant qu’on n’a pas réussi à éclipser, à dominer ses rivaux.

Comment y remédier?

Par des moyens négatifs consistant: à mépriser les premiers sentiments d’envie et de jalousie qui s’élèvent dans le cœur et à les écraser comme quelque chose d’ignoble ; à faire diversion, en s’occupant de toute autre chose.

Par des moyens positifs ; il en est deux qui sont les plus importants.

Le premier vient de notre incorporation au Christ: nous sommes tous frères, tous membres du corps mystique dont Jésus est la tête et les qualités comme les succès d’un de ces membres rejaillissent sur les autres; au lieu donc de s’attrister de la supériorité de nos frères, nous devons nous en réjouir, selon la belle doctrine de saint Paul (Rom., XII, 15, 16), et remercier Dieu pour les vertus qu’Il communique aux hommes.

Le second moyen, c’est de cultiver l’émulation. Pour être bonne, elle doit être honnête dans son objet, c’est à dire, se porter sur les vertus des autres, pour les imiter ; noble dans son intention, c’est-à-dire ne chercher à devenir meilleurs que pour la gloire de Dieu ; loyale dans ses moyens d’action, utilisant, pour aboutir à ses fins, l’effort, le travail, le bon usage des dons divins. Ainsi l’envie ne sera pour nous qu’une occasion de cultiver la vertu.

La colère

La colère est une déviation de ce sentiment instinctif qui nous porte à nous défendre quand nous sommes attaqués, en repoussant la force par la force.

Quelle est sa nature ?

Il y a une colère-passion qui est un besoin violent de réaction, déterminé par une souffrance ou contrariété physique ou morale. Cette contrariété déclenche une émotion violente qui tend les forces en vue de vaincre la difficulté.

Et il y a une colère-sentiment qui est un désir ardent de repousser et de châtier un agresseur.

La colère peut être légitime : c’est le cas d’une sainte indignation qui n’est qu’un désir ardent, mais raisonnable, d’infliger aux coupables un juste châtiment. C’est ainsi que Notre Seigneur entra dans une juste colère contre les vendeurs qui par leur trafic souillaient la maison de son Père. Pour cela, il faut qu’elle soit juste dans son objet, ne visant qu’à châtier celui qui le mérite et dans la mesure où il le mérite; modérée dans son exercice, n’allant pas plus loin que ne le réclame l’offense commise et suivant l’ordre que demande la justice; charitable dans son intention, ne recherchant que la restauration de l’ordre et l’amendement du coupable. Si l’une de ces conditions manque, la colère devient un vice.

En effet le vice capital de la colère, est un désir violent et immodéré de châtier son prochain, sans tenir compte des trois conditions précédentes. Souvent la colère est accompagnée de haine, qui cherche non seulement à repousser l’agression mais à en tirer vengeance; c’est un sentiment plus réfléchi, plus durable et qui par là même a de plus graves conséquences.

Quelle est la malice de la colère?

Quand la colère est simplement un mouvement transitoire de passion, si ce mouvement, quoique passionnel, est délibéré et volontaire, il constitue une faute grave; mais souvent il n’est qu’à moitié volontaire et alors c’est un péché véniel.

La colère, qui va jusqu’à la haine et la rancune quand elle est délibérée et volontaire, est par sa nature un péché mortel parce qu’elle viole gravement la charité et souvent la justice. C’est en ce sens que Notre Seigneur a dit : « Quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par les juges ; et celui qui dira à son frère : Raca, mérite d’être puni par le Conseil ; et celui qui lui dira : Fou, mérite d’être jeté dans la géhenne du feu » (Mat., V, 22).

Mais, si le mouvement de haine n’est pas délibéré ou si on n’y donne qu’un consentement imparfait, la faute ne sera que légère.

Les effets de la colère, quand ils ne sont pas réprimés, sont parfois terribles.

La colère est la source d’un grand nombre de fautes, parce qu’elle nous fait perdre la maîtrise de nous-mêmes et en particulier trouble la paix des familles et crée des inimitiés terribles.

Au point de vue de la perfection, elle est, nous dit saint Grégoire, un grand obstacle au progrès spirituel. Car, si on ne la réprime, elle nous fait perdre la sagesse ou la pondération; l’amabilité; le souci de la justice; le recueillement intérieur, si nécessaire à l’union intime avec Dieu, à la paix de l’âme, à la docilité aux inspirations de la grâce. Il importe donc d’en chercher le remède.

Comment y remédier ?

Pour triompher de la passion, il ne faut négliger aucun moyen.

Il y a des moyens hygiéniques qui contribuent à prévenir ou à modérer la colère : tels sont un régime alimentaire émollient, des bains tièdes, des douches, l’abstention des boissons excitantes et en particulier des spiritueux. A cause du lien intime entre le corps et l’âme, il faut savoir tempérer le corps lui-même, mais comme en cette matière, il faut tenir compte du tempérament et de l’état de santé, la prudence demande qu’on consulte un médecin.

Mais les remèdes moraux sont encore meilleurs. Pour prévenir la colère, il est bon de s’accoutumer à réfléchir avant d’agir. Lorsque, malgré tout, cette passion a surpris notre cœur, « il est mieux de la repousser vivement que de vouloir marchander avec elle car, pour peu qu’on lui en laisse le loisir, elle se rend maîtresse de la place. Il faut qu’au premier ressentiment que vous en aurez, vous ramassiez promptement vos forces, non point brusquement ni impétueusement, mais doucement et néanmoins sérieusement » (Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, IIIe P, Ch. VIII). Autrement, en voulant réprimer notre colère avec impétuosité, nous nous troublons davantage. Pour mieux réprimer la colère, il est utile de faire diversion, c’est-à-dire, de penser à toute autre chose que ce qui peut l’exciter. « Il faut invoquer le secours de Dieu quand nous nous voyons agités de colère, à l’imitation des Apôtres tourmentés du vent et de l’orage au milieu des eaux ; car il commandera à nos passions qu’elles cessent et la tranquillité se fera grande » (id.).

Lorsque la colère excite en nous des sentiments de haine, de rancune ou de vengeance, ceux-ci ne peuvent se guérir radicalement que par la charité basée sur l’amour de Dieu. Ainsi donc: on se rappellera les paroles du Notre Père : « pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » ; et, parce qu’on désire vivement recevoir le pardon divin, on pardonnera plus volontiers à ses ennemis. On n’oubliera pas les exemples de Notre Seigneur, appelant encore Judas son « ami » au moment de sa trahison et priant du haut de la croix pour ses bourreaux ; et on lui demandera le courage d’oublier et de pardonner. On évitera de penser aux injures reçues et à tout ce qui s’y rapporte. Les parfaits prieront pour la conversion de ceux qui les ont blessés et trouveront en cette prière un grand adoucissement aux blessures de leur âme.

Voilà donc exposés ces deux vices capitaux et leurs remèdes.

Que le Seigneur nous donne la grâce en ce Carême de livrer le bon combat contre tout ce qui menace la gloire de Dieu et le bien éternel de notre âme.

Et que notre Mère du Ciel nous bénisse et nous accompagne.

Ainsi soit-il.

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