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Année 2023-Homélie pour le 23ème dimanche du temps ordinaire (JGA).

La correction fraternelle.

Corriger l’autre est une expression d’amitié et de franchise, et un trait qui distingue le flatteur du véritable ami. A son tour, se laisser corriger est un signe de maturité et une condition du progrès spirituel.
La correction fraternelle chrétienne naît de la charité, vertu théologale par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toutes choses et notre prochain comme nous-mêmes par amour de Dieu.

 

 


Le texte de l’Evangile d’aujourd’hui est tiré du chapitre XVIII de saint Matthieu, consacré à la vie de la communauté chrétienne. Le passage comprend trois notes pour la vie de l’Eglise: la pratique de la correction fraternelle, la mission des pasteurs et la prière commune.

Nous nous arrêterons au premier point, pour rappeler certains aspects que doit englober la correction fraternelle. Les chrétiens, et surtout les pasteurs, doivent veiller sur leurs frères comme le Christ l’a fait, afin que personne ne soit perdu. Jésus lui-même pratiquait la correction fraternelle: il corrigeait lui-même ses disciples à diverses occasions, comme nous le montrent les Evangiles: il les réprimandait avant le déclenchement de l’envie qu’ils manifestaient lorsqu’ils voyaient quelqu’un qui chassait les démons au nom de Jésus; Il réprimande fermement Pierre parce que sa façon de penser n’est pas celle de Dieu mais celle des hommes; il canalise l’ambition démesurée de Jacques et Jean, modifiant avec amour leur incompréhension du royaume qu’il annonce, tout en reconnaissant la volonté courageuse des frères de «boire sa coupe».
Partant de l’enseignement et de l’exemple de Jésus, la correction fraternelle est devenue comme une tradition de la famille chrétienne vécue depuis les débuts de l’Eglise, une obligation d’amour et de justice à la fois. Parmi les conseils de saint Paul aux chrétiens de Corinthe, il y a celui de «s’exhorter les uns les autres» (2 Co 13, 11).
Saint Ambroise, témoin de la pratique de la correction fraternelle, écrivait au IVe siècle : «Si vous découvrez un défaut chez votre ami, corrigez-le en secret. Les corrections, en effet, font du bien et sont plus profitables qu’un amitié silencieuse. Si l’ami se sent offensé, corrigez-le quand même; insistez sans crainte, même si le goût amer de la correction le dégoûte. Il est écrit dans le livre des Proverbes que les blessures d’un ami sont plus supportables que les baisers des flatteurs (Pr 27, 6)» (De officiis ministrorum III, 125-135). Et saint Augustin: «Souvent, la vérité est dissimulée criminellement. Parfois pour ne pas avoir enseigné ou conseillé les méchants, d’autres fois pour ne pas les avoir corrigés et leur avoir évité les réprimandes; parfois par paresse, d’autres fois pour ne pas perdre leur amitié ou des avantages temporels que notre ambition veut acquérir ou que notre faiblesse a peur de perdre» (De Civitate Dei 1,9). «Nous devons corriger avec amour, pas avec un désir de blesser, mais avec l’intention de corriger; si vous ne le faites pas, vous vous rendez pires que celui qui pèche. Il commet une injure et, en la commettant, il se blesse d’une blessure profonde. Vous méprisez la blessure de votre frère, parce que ton silence est pire que son indignation» (Sermons 82, 1,4).

Avec la pratique de la correction fraternelle se précise une manière de coopérer au salut du frère égaré. Le fondement naturel de la correction fraternelle est la nécessité pour chacun d’être aidé par d’autres pour atteindre son objectif, car personne ne se considère comme bon ni ne reconnaît facilement ses défauts. C’est pourquoi cette pratique a également été recommandée par les auteurs classiques comme un moyen d’aider ses amis.
Corriger l’autre est une expression d’amitié et de franchise, et un trait qui distingue le flatteur du véritable ami (Cf. Plutarque Moralia, I). A son tour, se laisser corriger est un signe de maturité et une condition du progrès spirituel: «l’homme bon est heureux d’être corrigé ; le méchant tombe dans l’impatience devant celui qui lui donne un conseil». (Sénèque, De ira, 3, 36, 4.). Le chrétien a besoin de la faveur que lui rendent ses frères dans la foi avec une correction fraternelle. Avec d’autres aides essentielles, prière, mortification, bon exemple, cette pratique déjà présente dans la Sagesse du peuple hébreu constitue un moyen fondamental pour atteindre la sainteté, contribuant ainsi à l’extension du Royaume de Dieu dans le monde. : «Celui qui accepte la correction suit le chemin de la vie ; celui qui ne l’admet pas est sur le mauvais chemin» (Prov. Pr 10, 17).
La correction fraternelle chrétienne naît de la charité, vertu théologale par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toutes choses et notre prochain comme nous-mêmes par amour de Dieu. Puisque la charité est le «lien de perfection» (Cf. Col 3, 14) et la forme de toutes les vertus, l’exercice de la correction fraternelle est source de sainteté personnelle chez celui qui la fait et chez celui qui la reçoit. Au premier, elle offre la possibilité de vivre le commandement du Seigneur: «Ceci est mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (Jn 15, 12); au second, elle fournit les lumières nécessaires pour se reprendre, à la suite du Christ, dans l’aspect spécifique dans lequel il a été corrigé. «La pratique de la correction fraternelle, qui a un noyau évangélique, est une épreuve d’affection et de confiance surnaturelles. Soyez-en reconnaissant lorsque vous le recevez et ne cessez pas de le pratiquer avec ceux avec qui vous vivez» (Escrivá de Balaguer, Forja, n. 566.). La correction fraternelle ne naît pas de l’irritation devant une offense reçue, ni de l’orgueil ou de la vanité blessés par les fautes d’autrui. Seul l’amour peut être le véritable motif pour corriger son prochain. Comme l’enseigne saint Augustin: « il faut donc corriger par amour ; non pas avec le désir de faire du mal, mais avec l’intention aimante de parvenir à son amendement. Si c’est l’amour qui vous anime, vous travaillez excellemment » (Saint Augustin, Sermo 82, 4.)

Les chrétiens ont le devoir de corriger fraternellement leur prochain comme une exigence sérieuse de la vertu de charité (Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1829). Dans l’Ancien Testament, nous trouvons des exemples dans lesquels Yahweh rappelle cette obligation aux prophètes, comme c’est le cas de l’avertissement adressé à Ezéchiel: «Je t’ai établi, fils d’homme, comme sentinelle sur la maison d’Israël: tu entendras le parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant: « Toi, méchant, tu vas mourir », et que tu ne parles pas pour avertir le méchant de sa voie, ce méchant mourra à cause de lui-même, mais j’exigerai de toi son sang. Mais si tu avertis le méchant de se détourner de sa voie et qu’il ne s’en détourne pas, il mourra à cause de son péché mais tu auras sauvé ta vie» (Ez 33, 7-9). La même idée apparaît dans le Nouveau Testament. L’apôtre Jacques souligne : «Si l’un de vous s’éloigne de la vérité et qu’un autre l’y incite à y revenir, il doit savoir que celui qui détournera le pécheur de son erreur sauvera son âme de la mort et couvrira la multitude de ses péchés» (Jacques 5, 19-20). Et saint Paul considère la correction fraternelle comme le moyen le plus approprié pour attirer ceux qui se sont écartés du droit chemin: «Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous disons dans cette lettre, ne le considérez pas comme un ennemi, mais corrigez-le comme un frère» (2 The 3, 4-5 ; cf. Gal 6, 1). Devant les fautes des frères, il n’y a pas de place pour une attitude passive ou indifférente. La plainte ou l’accusation intempérante valent bien moins: «La correction amicale est plus bénéfique que l’accusation violente ; la première inspire la componction, la deuxième l’indignation» (Saint Ambroise, Catena Aurea, VI.).
Dans les conseils de Jésus que nous avons entendus dans l’Evangile d’aujourd’hui et d’autres enseignements évangéliques sur la charité, nous pouvons trouver quelques traits caractéristiques de la manière dont doit être pratiquée la correction fraternelle : vision surnaturelle, humilité, délicatesse et affection.
Parce qu’il s’agit d’un avertissement avec un but surnaturel, la sainteté du corrigé, il convient que le correcteur discerne en présence de Dieu l’opportunité de la correction et la manière la plus prudente de l’effectuer (le moment le plus opportun, le plus mots appropriés, etc.) pour éviter d’humilier le corrigé. Demander la lumière à l’Esprit Saint et prier pour la personne à corriger favorise le climat surnaturel nécessaire à l’efficacité de la correction. Il convient également que celui qui corrige considère humblement sa propre indignité devant Dieu et s’interroge sur la faute qui fait l’objet de la correction. Saint Augustin conseille de faire cet examen de conscience, car nous percevons souvent facilement chez les autres précisément les points qui nous manquent le plus : «Quand nous devons réprimander les autres, réfléchissons d’abord si nous avons commis cette faute; et si nous ne l’avons pas commis, pensons que nous sommes des hommes et que nous avons pu la commettre. Ou si nous l’avons commis à une autre époque, même si nous ne la commettons pas maintenant. Et puis gardons à l’esprit la fragilité commune, pour que la miséricorde, et non le ressentiment, précède cette correction » (Saint Augustin, Sur le Sermon sur la Montagne, 2).La délicatesse et l’affection sont des traits distinctifs de la charité chrétienne et donc aussi de la pratique de la correction fraternelle. Pour s’assurer que cet avertissement est l’expression d’une authentique charité, il est utile de se demander avant de le donner : comment Jésus agirait-il dans cette circonstance avec cette personne ? Voici comment avertir plus facilement que Jésus corrigerait non seulement avec promptitude et franchise, mais aussi avec bonté, compréhension et estime. «La correction fraternelle, quand vous devez la faire, doit être pleine de délicatesse, de charité, dans la forme et dans le fond, car à ce moment-là vous êtes un instrument de Dieu» (Escrivá de Balaguer, Forja, n° 147). Un exemple concret de délicatesse sera de donner l’avertissement seul avec la personne concernée, en ignorant tout ce, commentaires ou plaisanteries, qui pourrait perturber l’atmosphère surnaturelle dans laquelle s’effectue la correction. La vertu de prudence joue un rôle important comme guide, règle et mesure dans la manière de faire, et aussi de recevoir, la correction fraternelle. «La prudence dispose la raison à discerner, en chaque circonstance, notre véritable bien et à choisir les moyens appropriés pour y parvenir» (Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique, 380). C’est pourquoi une règle de prudence, scellée par l’expérience, est de demander conseil à une personne sensée (le directeur spirituel, le prêtre, le supérieur, etc.) sur l’opportunité de procéder à la correction. Cette consultation, loin d’être une accusation ou une plainte, constitue un sage exercice de la vertu de charité qui cherche à éviter que quelqu’un soit corrigé sur le même sujet par plusieurs personnes, et aide celui qui corrige à mûrir dans ses jugements et à former sa propre conscience. La prudence conduira également à ne pas corriger trop souvent le même problème, car il faut avoir la grâce de Dieu et du temps pour l’amélioration des autres.
Les matières qui font l’objet de la correction fraternelle couvrent tous les aspects de la vie du chrétien, puisqu’elles constituent toutes son domaine de sanctification personnelle et d’apostolat de l’Église. Il convient de noter en termes généraux les points suivants : 1) les habitudes contraires aux commandements de la loi de Dieu et aux commandements de l’Eglise ; 2) des attitudes ou des comportements qui entrent en conflit avec le témoignage qu’un chrétien est appelé à donner dans la vie familiale, sociale, professionnelle, etc.; 3) les fautes isolées commises, dans le cas où elles constituent une atteinte grave à la vie chrétienne de l’intéressé ou au bien de l’Eglise.
Lors de sa réception, il est important de savoir maintenir une attitude adéquate qui se résume dans ces aspects: vision surnaturelle, humilité et gratitude. Après avoir reçu la correction, il est raisonnable que la personne corrigée accepte la correction avec gratitude, sans argumenter ni donner d’explications ou d’excuses, car elle voit en celui qui corrige un frère soucieux de sa sainteté. Dans les cas où, face à une correction, une irritation ou un mécontentement surgit du plus profond de l’âme, il conviendra de méditer les paroles de saint Cyrille : «La réprimande, qui améliore les humbles, semble généralement intolérable aux orgueilleux» (Saint Cyrille, Catena Aurea, tome VI.). La prudence conseille dans ces cas de méditer en présence de Dieu la correction reçue pour en pénétrer tout le sens; et, si vous ne le comprenez pas, demander conseil à une personne prudente (le prêtre, le directeur spirituel, etc.) pour vous aider à le comprendre dans toute son ampleur.
Les bénéfices de la pratique de la correction fraternelle sont nombreux, tant pour ceux qui la reçoivent que pour ceux qui la pratiquent. En tant qu’action concrète de la charité chrétienne, ses fruits sont la joie, la paix et la miséricorde. Cela implique également l’exercice de nombreuses vertus: charité, humilité, prudence; elle améliore la formation humaine en rendant les gens plus courtois; elle facilite le traitement mutuel entre les personnes, le rendant plus surnaturel et, en même temps, plus agréable du point de vue humain; elle canalise l’éventuel esprit critique négatif, qui pourrait conduire à juger le comportement des autres avec un sens non chrétien; elle évite les commérages ou les mauvaises blagues sur le comportement ou les attitudes de nos voisins; elle renforce l’unité de l’Eglise et de ses institutions à tous les niveaux, contribuant à une plus grande cohésion et efficacité de la mission évangélisatrice; elle garantit la fidélité à l’esprit de Jésus-Christ; elle permet aux chrétiens de faire l’expérience de la ferme sécurité de celui qui sait qu’il ne manquera pas de l’aide de ses frères dans la foi : «Un frère aidé par son frère est comme une ville fortifiée» (Pr 18, 19).

Enfin, dans l’Evangile d’aujourd’hui Jésus souligne la valeur et la puissance de la prière commune (v. 19-20).Il est intéressant de noter que Jésus parle de l’efficacité de la prière faite en commun après avoir exposé ce qui est lié à la correction fraternelle, puisque l’union de la volonté par l’amour est une condition de la présence du Christ et de l’efficacité de nos supplications.

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