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Année 2020-Homélie pour le 22ème dimanche du temps ordinaire (JA).

Eh bien ! que chacun considère quel est son point faible : là réside sa mise à l’épreuve. Sa mise à l’épreuve n’est pas à chercher dans ces choses qui lui sont aisées, mais dans cette chose unique ou dans ces choses diverses, de quelque ordre qu’elles soient, où le devoir qu’il doit accomplir est contraire à sa nature.


Dimanche dernier, dans l’évangile Pierre inspiré par le Père du Ciel affirmait : « Tu es le Messie, tu es le Fils du Dieu vivant ». Devenu Pierre pour affermir la foi de ses frères, il est pourtant dans l’Evangile d’aujourd’hui « une occasion de chute » pour le Christ, parce que, lui dit Jésus, « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».

Jésus venait d’annoncer ouvertement sa Passion, et cela suscite en Pierre une forte résistance, puisque cette perspective s’oppose à ses propres idées : non pas la gloire mais l’humiliation, non pas le succès et la victoire mais la défaite et la mort. Il est vrai que Jésus annonce aussi sa résurrection, mais Pierre n’accepte pas la croix et la souffrance comme chemin vers la résurrection.

Par cette proposition, Pierre, d’une certaine façon, rejoignait celle du Tentateur (le diable) qui, au début de la vie publique, avait suggéré à Jésus un messianisme plus facile et sans souffrances : les anges te protégeront de peur que ton pied ne heurte une pierre (Mat 4,16). Et voilà que Pierre heurte le Seigneur dans sa marche vers Jérusalem. La Pierre de fondation de l’Église (« tu es Pierre ») devient la pierre sur laquelle on bute (« occasion de chute »).
Jésus, selon la volonté de Dieu, avait choisi un autre messianisme, celui du « Serviteur souffrant » dont parlait le prophète Isaïe : « C’étaient nos souffrances qu’il portait. C’est par nos péchés qu’il était broyé… Il intercédait pour les pécheurs » (Isaïe 53, 3 et 12).
D’une certaine manière, le messianisme proposé par Pierre résonne comme l’écho de celui qu’avait proposé Satan lors de la tentation au désert. Jésus explose en un cri d’horreur : «Va-t’en derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! ». Personne ne pourra empêcher Jésus de sauver le monde au prix du sang versé et de sa croix rédemptrice car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on  aime», et c’est pour cela qu’il est venu au monde.
Plus tard encore, dans la nuit de Gethsémani, Jésus fera rentrer son épée au même pauvre Pierre, en lui disant: «Comment pourrais-je refuser la coupe que le Père m’a donnée à boire ? » (Jean 18, 11).

Jésus demande à Pierre de le suivre : « Passe derrière moi, Satan ! »C’est-à-dire, marche à ma suite, prend ta croix et cesse ainsi d’être un obstacle devant moi.
Jésus emploie ici le même mot par lequel il a chassé le démon lors de la tentation au désert : « Va-t’en ». Mais il ajoute ici le mot « derrière moi ». C’est le mot du premier appel de Pierre au début de l’activité publique de Jésus, quand il le voit au bord de la mer de Galilée avec son frère André : « Venez derrière moi ». De cette façon Jésus renvoie Pierre à sa place de disciple qui doit suivre le maître, ce qu’il explicitera aux versets suivants.
Le Christ lui offre, et il nous offre aussi à nous, son chemin de croix qui est un chemin d’amour. « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

Que nous le voulions ou non, même avec la plus grande vigilance, la mentalité actuelle qui nous entoure, imprègne nos propres réactions. Ainsi quand l’Evangile nous parle de la Vérité , le monde nous dit que chacun peut avoir la sienne. Quand il parle d’engagement, le monde répond par divertissement. Quand il nous rappelle nos devoirs envers Dieu et nos prochains, le monde répond par nos droits. La charité elle-même (ce qu’il y a de plus grand, parce que Dieu est charité) est déformée et réduite à n’être qu’une solidarité, en ne s’occupant que du bien-être extérieur et temporel de l’homme et en oubliant le bien principal et éternel : le salut de nos âmes.

« Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ,s’il rate le ciel, le salut éternel ?  Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? ».
C’est pour cela que saint Paul nous prévient dans sa lettre aux romains : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rom 12, 2).
Quand il nous propose de le suivre, le Christ nous propose une logique autre que celle des hommes. C’est la logique de la charité qui se donne gratuitement, sans compter et jusqu’au bout.
Renoncer à soi-même, prendre sa croix et suivre Jésus pour arriver à la résurrection… Voilà la pensée de Dieu.

C’est chaque jour que cela doit être accompli. Et pour ce même fait en peut dire que le renoncement qui plaît au Christ consiste en de petites choses. Cela est évident, car on n’a pas tous les jours des occasions de grands renoncements. C’est pourquoi prendre la croix du Christ n’est pas une grande action accomplie une fois pour toutes; cela consiste dans la pratique continuelle de petites obligations qui nous répugnent.
Tout homme qui a l’habitude de s’examiner lui-même doit avoir conscience de telles infirmités en son for intérieur. Bien des hommes en ont plus d’une, et tous tant que nous sommes en avons l’une ou l’autre : c’est en leur résistant et en les surmontant que le renoncement commence à s’exercer. L’un est indolent et aime se divertir, un autre est passionné ou irritable, un autre est vaniteux, un autre a du mal à maîtriser sa langue ; d’autres sont faibles et ne peuvent surmonter le sentiment de ridicule où les plongent des compagnons irréfléchis ; d’autres sont tourmentés par des passions mauvaises qui leur font honte et auxquelles ils succombent néanmoins. Eh bien ! que chacun considère quel est son point faible : là réside sa mise à l’épreuve. Sa mise à l’épreuve n’est pas à chercher dans ces choses qui lui sont aisées, mais dans cette chose unique ou dans ces choses diverses, de quelque ordre qu’elles soient, où le devoir qu’il doit accomplir est contraire à sa nature. Ne vous croyez jamais à l’abri parce que vous remplissez votre devoir pour quatre-vingt-dix-neuf points sur cent : c’est le centième qui sera le point de départ de votre renoncement, et qui doit prouver, ou plutôt concrétiser et matérialiser votre foi. C’est en référence à cela que vous devez veiller et prier ; priez sans cesse pour que la grâce de Dieu vous aide, et veillez avec crainte et tremblement de peur que vous ne tombiez. Il se peut que d’autres ne connaissent pas quels sont ces points faibles de votre caractère, et qu’ils se trompent sur leur compte. Quant à vous, il est à votre portée de les connaître : cela grâce à ce que les autres en devinent et vous en font sentir, à vos propres observations et aux lumières de l’Esprit de Dieu. Oh ! que vous soit accordée la force de lutter contre eux et de les vaincre ! Oh! que vous soit accordée cette sagesse qui fait peu de cas de la religion du monde ou des louanges que vous recevez de lui.
Et il n’y a pas d’amour vrai, durable, profond, sans renoncement à soi-même pour le bonheur de l’autre.

Jésus ne nous demande pas d’aimer la souffrance et le renoncement pour eux-mêmes. Il nous demande avant tout d’aimer jusqu’au bout pour le suivre, gagner, réussir notre vie. Ce but est infiniment positif puisqu’il est l’avènement de Jésus-Christ, selon la prière eucharistique.

Et Jésus s’en va à Jérusalem.
Pierre n’a retenu que l’annonce de la Passion douloureuse, pour la refuser. Il n’a pas entendu la Résurrection que Jésus annonçait, c’est-à-dire l’avènement dans la Gloire, la réussite du salut éternel. Mais Jésus veillera sur lui avec sollicitude, au milieu des embûches de la Passion. « J’ai prié pour toi », lui a-t-il dit, afin que ta foi ne disparaisse pas. Quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Luc 22. 32)

Quand nous suivons Jésus en portant nos croix avec Lui, songeons à cet avènement, à cette joie qui approche. Jésus voit bien plus loin que Pierre, bien plus loin que nous.

Ainsi soit-il.

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